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Un accord de complaisance

Cédric Cossy
La Nation n° 2295 26 décembre 2025

La Nation No 2292 du 14 novembre a publié la réponse de la Ligue vaudoise à la consultation portant sur le nouveau paquet d’accords Suisse – UE. Nous allons dans les numéros à paraître revenir séparément sur les différents accords du paquet. Nous ouvrons les feux avec le projet d’accord relatif à l’électricité.

Les partenaires suisses participent aujourd’hui déjà au réseau électrique européen: des échanges transfrontaliers se font de gré à gré en appliquant les règles tarifaires du marché libre européen pour des achats anticipés (jusqu’à 5 ans) ou spot (besoins immédiats). Le transport d’électricité de, vers et à travers la Suisse est aujourd’hui fonctionnel, sans accord spécifique avec l’UE.

La Suisse commerce principalement avec trois pays partenaires: elle achète en hiver du courant nucléaire de France et revend de l’hydraulique en été lors des révisions de centrales; la Suisse achemine (avec l’Autriche) l’électricité allemande et, pour une plus faible part, française nécessaire à l’Italie.

Certains partenaires étrangers sont déjà engagés en Suisse: EDF est partenaire du projet de pompage-turbinage Emosson–Nant de Dranse; l’allemande EON est actionnaire d’infrastructures (production et transport) dans l’est de la Suisse.

La loi sur l’approvisionnement en électricité de 2007 (LApEl) a attribué un monopole de fait à Swissgrid et aux gestionnaires de réseau pour l’acheminement et la distribution. Swissgrid dispose d’une faible liberté pour négocier les tarifs de transport à travers la Suisse. L’accès au marché libre est réservé aux consommateurs dépassant 10 GWh/an. Les petits usagers sont liés à leurs gestionnaires locaux. Cette captivité n’a pas que des défauts: durant la crise de 2022, les consommateurs captifs ont vu leur facture au plus doubler, alors que celle des consommateurs libéralisés était multipliée jusqu’à 14 fois.

La Commission fédérale de l’électricité (ElCom), «autorité de régulation indépendante», veille à la bonne application de la LApEl et de ses ordonnances.

La situation actuelle est d’abord inconfortable pour nos voisins européens, Italie en tête: l’approvisionnement de ce pays et le bon fonctionnement du réseau européen dépendent du transit à travers la Suisse et des conditions négociées avec Swissgrid pour assurer ce service. A contrario, la Suisse a besoin d’acheter et de vendre du courant en Europe pour l’ajustement saisonnier de l’offre et de la demande, ceci sans garantie réglementaire ou tarifaire en cas de pénurie en Europe.

 

Le projet d’accord

L’accord «a pour objectif de permettre la participation de la Suisse au marché intérieur de l’électricité de l’Union par l’application uniforme des règles régissant ce dernier, auxquelles sont apportées les adaptations nécessaires en vertu des termes et conditions énoncés dans le présent accord».

Il est demandé à la Suisse de s’aligner sur vingt «actes juridiques» distincts traitant notamment des modes de production, de la régulation du marché, de l’infrastructure, de la gestion des réseaux de transport et redevances correspondantes, de l’allocation des capacités, de l’échange d’informations.

L’accord n’exige pas de privatisation. La participation majoritaire directe ou indirecte des collectivités publiques suisses dans les sociétés de production, de transport ou de distribution reste possible, pour autant que la concurrence soit équitable avec des entreprises de l’UE. Les éventuelles subventions, aides et concessions exclusives accordées par les collectivités doivent à terme être abandonnées. Ceci permet la libéralisation (= choix libre du fournisseur dans toute l’Europe) pour petits et grands consommateurs.

L’art. 21 de l’accord vise l’accroissement de la part de toutes les énergies renouvelables et non des seules sources électriques. L’article renvoie à un autre paquet d’actes juridiques de l’UE couvrant la protection de l’environnement, la promotion des énergies renouvelables et la part de celles-ci dans la consommation indigène, voire l’aménagement du territoire pour les produire. La clause évolutive de l’art. 44 parle de l’extension de la portée de l’accord dans les domaines de l’hydrogène ou des gaz renouvelables.

La Suisse gagne le droit de participer aux organes européens Ainsi, l’ElCom rejoint l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), Swissgrid le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (REGRT) et les gestionnaires de réseau suisses l’entité des gestionnaires de réseau de distribution de l’Union (entité des GRD de l’Union). Ces organes décident non seulement des actes juridiques pertinents, mais aussi de leurs conséquences opérationnelles sur la production, le transport et la distribution électrique, ceci dans tous les pays couverts par l’accord. Aucun droit de veto n’est prévu pour les décisions impliquant la Suisse. L’ElCom et Swissgrid deviennent de simples organes d’exécution des décisions européennes en matière d’électricité.

Cette participation européenne s’accompagne d’une cotisation administrative proportionnelle à son PIB. Le montant et le mode de refacturation (taxe à la consommation ou nouvelle charge contributive) restent à définir.

Enfin, l’accord est indépendant du reste du paquet: il est théoriquement dénonçable avec six mois de préavis sans mesure compensatoire touchant un autre domaine.

 

Conséquences de l’accord:

Hormis la facilitation des négociations commerciales entre entreprises suisses et européennes, la Suisse ne retire à notre avis aucun avantage de l’accord. Celui-ci ressemble plus à un cadeau pour compenser les particularités suisses concédées par l’UE dans le reste du paquet.

La Suisse sera contrainte de s’aligner rapidement sur les règles de l’UE. Cette dernière imposera, via l’ACER ou le REGRT, les étapes du développement, dans l’intérêt de l’UE, du réseau de production et de distribution en Suisse. Outre la perte de souveraineté correspondante, ceci conduira à des priorités d’investissement probablement défavorables aux Suisses (par exemple construire de nouvelles lignes de transport nord-sud avant d’investir dans des sources indigènes de production). Les entreprises ou groupes énergéticiens européens soumissionneront de manière accrue, car sans crainte de protectionnisme, pour la réalisation des grands projets sur territoire suisse.

La libéralisation complète poussera nombre de petits clients à délaisser les producteurs hydroélectriques locaux au profit de sources étrangères moins chères, mais pas forcément renouvelables. Ceci conduira à la réduction des investissements indigènes dans de nouvelles sources durables, voire à l’arrêt d’équipements existants (barrages compris), dont la rénovation n’est pas rentable. Ceci réduira l’autonomie énergétique de la Suisse et freinera ses ambitions pour atteindre la neutralité carbone.

La baisse des tarifs promise par les partisans de l’accord est un miroir aux alouettes: il faudra couvrir la contribution suisse à l’ACER. L’article de Benjamin Ansermet ci-après montre de manière cocasse les méfaits possibles de la libéralisation du marché.

Enfin, de par ses renvois à de multiples actes juridiques européens contraignants, l’accord porte bien au-delà des questions techniques ou politiques touchant l’électricité.

Le statu quo semble préférable.

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