Plaidoyer pour l’amalgame
Même si la presse s’en est déjà largement fait l’écho, nous voulons revenir ici sur les événements particulièrement violents qui viennent de marquer l’actualité. Coup sur coup et en trois jours à peine, des individus se sont en effet attaqués à un kiosque de Renens, à un magasin d’alimentation de Baulmes, à une boucherie de Vallorbe et à une bijouterie de Montreux.
Comme cela se fait habituellement en pareilles circonstances, et avant même que la police scientifique ait eu le temps d’arriver sur place, les chargés de communication se sont précipités sur les médias pour déclarer avec une tranquille assurance que ces événements n’avaient aucun lien entre eux. Si l’on ne peut exclure que ce soit exact, on est en revanche certain que ces affirmations ne reposent sur rien de plus solide que la pifométrie la plus absolue: le but n’est pas de dire la vérité mais uniquement de rassurer – deux choses rarement compatibles. C’est dans cette même optique que les autorités françaises, au moment où une policière a été abattue le lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo, se sont empressées d’affirmer que les deux affaires n’étaient pas liées. Et au moment où nous rédigeons ces lignes, nous apprenons que les attentats déjoués en Belgique n’ont rien à voir avec ceux qui ont été perpétrés en France.
Outre qu’elles aident à endormir la vigilance des citoyens, ces paroles rassurantes permettent surtout de lutter contre les amalgames. Car la lutte contre les amalgames constitue le plus grand défi du monde d’aujourd’hui, reléguant au second plan la menace du réchauffement climatique. Et un amalgame est si vite arrivé… Songez à ceux, odieux, auxquels se livrent en ce moment certains esprits étroits: entre les djihadistes et l’islam, entre l’insécurité et les étrangers, entre Charlie et Koulibaly, entre la liberté d’expression et le droit de contester l’idéologie dominante, entre le renchérissement du franc suisse et la dégringolade de l’euro, entre le surpoids et les boissons sucrées, entre Hollande et le chômage, Obama et Guantanamo, Poutine et le Donbass, Breivik et l’extrême-droite.
Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre: rien n’est lié à rien! Sauf une chose, une seule, qui, elle, est liée à tout, et la cause de tous nos maux: le fédéralisme.
M. Pierre Aepli, ancien commandant de la police (étroitement) cantonale, et qui a récemment fait bénéficier la Libye de ses conseils en matière de sécurité, s’est exprimé dans 24 heures sur l’affaire de Charlie Hebdo. Extrait:
[…] Notre organisation policière décentralisée et notre législation respectueuse de la sphère privée touchent à leurs limites. Notre capacité d’amasser des renseignements utiles, de les analyser et de les mettre en perspective avec ce qui se passe à l’étranger est très insuffisante. Le morcellement de nos polices est pénalisant. […]
Bon sang, mais c’est bien sûr! Des forces nationales ou fédérales centralisées, voilà ce qui permet à des grands pays comme la France et les Etats-Unis de connaître moins d’actes terroristes que la Suisse. Quant aux habitants de Baulmes ou de Vallorbe, ils doivent se mordre les doigts d’avoir eu affaire à des policiers d’Yverdon et de Lausanne plutôt que de Berne ou de Zurich. Face au morcellement, M. Aepli a le courage de plaider pour l'amalgame !
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- L’avenir de la liberté d’expression – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Une idée géniale – Ernest Jomini
- La force de la vérité: Léon Bloy – Lars Klawonn
- Mathématiques électorales – Cédric Cossy
- Les charlistes (scène) – Jacques Perrin
- Les mystères de la péréquation – Jean-François Cavin
- A propos du revenu de base – Laurent Paschoud
- Hommage aux éditions Empreintes (à l’occasion de leur trentième anniversaire) – Daniel Laufer
- Cabu – Olivier Delacrétaz
- Les allocations familiales font partie du revenu – Pierre-Gabriel Bieri