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Deux grands serviteurs de la musique : Aloÿs Fornerod et Jean Daetwyler

Jean-Jacques Rapin
La Nation n° 2019 29 mai 2015

Deux hommes, deux créateurs, deux natures n’ayant rien en commun et que tout semble séparer. Il peut donc paraître arbitraire, à première vue, de placer leurs noms côte à côte. Mais un examen approfondi montre pourtant une étonnante parenté de destins qu’il n’est pas inutile de rappeler au moment de deux célébrations – l’an dernier, le vingtième anniversaire du décès de Jean Daetwyler (1907-1994), marqué par la publication d’une importante étude1, et cette année, les cinquante ans du décès d’Aloÿs Fornerod (1890- 1965).

Première surprise, leur formation ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle est française pour tous deux. Après des études locales, Fornerod à 19 ans, Daetwyler à 20, manifestant sans doute la même volonté d’indépendance et le même besoin de trouver les meilleures conditions d’études, se rendent à Paris. Ce choix n’est pas étonnant. A l’époque, si l’on ne veut pas privilégier une voie germanique, Paris, avec la Schola Cantorum placée sous la haute figure de Vincent d’Indy, offre un centre d’excellence de premier ordre. Ils y trouvent une qualité de climat et les éléments déterminants, constitutifs d’une forte personnalité, qui en font des hommes de culture, loin de tout académisme, conscients de leurs racines, comme aussi de leur responsabilité de transmettre…

Jacques Viret, dans sa remarquable étude Aloÿs Fornerod ou le Musicien et le Pays2, l’exprime avec clarté : « Il n’est guère possible d’exagérer les bienfaits que retira notre musicien de son séjour à la Schola : ce séjour le marqua d’une empreinte indélébile et contribua pour une large part à lui inculquer cet humanisme qui allait devenir de plus en plus le principe même de son œuvre et de son action. »3

Ici encore, la convergence des deux musiciens est plus que frappante, chacun dans son milieu professionnel et humain – Aloÿs Fornerod, compositeur à sa table ou chargé de la direction du Conservatoire de Fribourg, et Jean Daetwyler, compositeur fécond ou directeur de chœurs et d’harmonies. Même si leurs chemins sont très différents et ne se croisèrent sans doute jamais, on ne peut qu’être frappé par la dimension et par les constantes du sillon que ces hommes ont creusé, issus d’une même formation.

C’est ainsi que Jean Daetwyler trouve en Valais un terrain d’action où, s’inspirant en cela de Béla Bartók – ce qui dénote une ouverture d’esprit peu ordinaire pour l’époque ! –, il met en évidence le style modal des mélodies des fifres et tambours du val d’Anniviers, inchangé depuis le quinzième siècle. Il se forge alors un langage propre dont la tendance à la modalité est l’une des caractéristiques – ce style modal qu’il a pratiqué à la Schola, à Paris, où la classe « d’application chorale » (à laquelle les élèves étaient astreints) leur faisait découvrir les Josquin des Prés, Janequin ou Palestrina… Par là, Daetwyler pose les jalons d’une culture musicale qui, si elle plonge ses racines loin dans le passé, reste vivante et populaire. Son engagement personnel dans les milieux les plus divers, religieux ou profanes, amateurs ou professionnels, celui des chœurs comme celui des harmonies, son abondante œuvre écrite où il aborde tous les genres, créent des conditions qui expliquent, pour une large part, la richesse de la situation actuelle du Valais.

Aloÿs Fornerod, de retour en Suisse, trouve une situation bien différente. Le Pays de Vaud est une sorte de carrefour, où se croisent des courants de natures très diverses. Strawinsky à Montreux, Honegger à Mézières, y laissent des traces dont on n’a pas encore vraiment pris conscience à l’époque, tandis que l’OSR et son chef Ernest Ansermet ouvrent une porte sur le grand large. De son côté, Gustave Doret, grâce à une savante alchimie entre l’Ecole française et le chant choral traditionnel de lointaine origine germanique, signe deux Fêtes des Vignerons (1905 et 1927), qui remportent une large adhésion populaire.

Devant cette situation, à la fois riche et quelque peu confuse, Fornerod a une vision très claire de ce qui va être sa mission. Cet humaniste classique, épris d’ordre et de clarté, a le sens de la forme, toutes qualités héritées de ses années passées à la Schola. Mais sous ses dehors policés, il est aussi un homme déterminé, conscient des responsabilités qu’il a choisi d’endosser et qu’il entend assumer. Dans un style très personnel, proche de Fauré, du Groupe des Six, de Poulenc en particulier, il trace en une cinquantaine d’années une voie extraordinairement originale et féconde. Compositeur, il aborde les domaines les plus divers, de la musique chorale et sacrée à la musique de scène et d’opéra, en passant par la musique de chambre et la musique symphonique. De plus, parallèlement à son œuvre musicale, homme de haute culture, enseignant, conférencier, critique musical ou écrivain, Fornerod met sa pensée et sa plume au service des idées qu’il entend défendre.

Fidèle à son idéal et à son engagement, Aloÿs Fornerod nous donne une admirable leçon de vie. Dans un siècle aux courants si divergents, il représente l’une des figures les plus marquantes, les plus dignes de respect. Comme Jean Daetwyler, mais à sa manière, il est lui aussi un grand serviteur de la musique et du Pays.

Relevons ici l’apport indispensable de Jean-Louis Matthey à la meilleure connaissance de nos deux musiciens. Responsable de l’Inventaire du Fonds musical Aloÿs Fornerod à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne en 1982, il a aussi été coresponsable de la récente publication consacrée à Jean Daetwyler.

Notes:

1 Jean Daetwyler compositeur, Médiathèque du Valais, Sion 2014.

2 Cahiers de la Renaissance Vaudoise, Lausanne 1982.

3 Op. cit. p. 36.

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