Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Fusions communales

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2019 29 mai 2015

Plusieurs projets de fusions communales ont échoué ces derniers temps. Ces échecs ont laissé des déceptions et parfois des rancœurs proportionnelles au travail fourni. Il faut « faire quelque chose », dit-on.

Les communes sont aujourd’hui libres de fusionner ou non. Le Canton les y incite tout de même, par le biais de subsides calculés principalement sur la base du nombre d’habitants. Il met aussi à leur disposition les conseils et l’expérience de son délégué, M. Laurent Curchod.

C’est un fait que les communes ont toujours plus de peine à renouveler leurs autorités. Le travail des municipaux est devenu lourd et compliqué. Plus d’un abandonne en cours de législature.

On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure l’augmentation des exigences de l’Etat à l’égard des communes correspond à une nécessité politique et dans quelle mesure elle est simplement due au gonflement autonome et non-maîtrisé de l’administration. Nos politiques devraient examiner la question.

Les habitants sont moins attachés que naguère à leur commune. En général, ils n’y travaillent pas. Ils la quittent dès qu’ils ont besoin d’un appartement plus grand ou plus petit, dès qu’ils changent de statut professionnel ou social. Le fait d’habiter une commune plutôt qu’une autre ne leur inspire pas un grand sentiment d’appartenance ou d’identité, et par conséquent pas non plus le sentiment d’un devoir particulier à l’égard de la collectivité. Ils en attendent, ou plutôt en exigent, un certain nombre de services qu’ils jugent largement payés par leurs impôts. Cela ne prédispose pas au bénévolat politique.

Ajoutons que les associations intercommunales, nombreuses et étendues, finissent par constituer un pouvoir intermédiaire entre l’Etat et les communes, ce qui prive ces dernières d’une part de leur autonomie.

Ce sont là des motifs objectifs d’envisager une fusion.

En revanche, invoquer la « masse critique » qui permettrait à l’entité fusionnée d’« affronter » l’Etat cantonal relève de la langue de bois. Non seulement la force d’une communauté se mesure à sa cohésion plus qu’au nombre de ses membres, mais il est faux de se représenter les communes comme opposées par principe à l’Etat. Même s’il y a parfois de réelles empoignades entre eux, la protection des communes passe par leurs associations de défense et non par un affrontement sans espoir entre telle commune, même fusionnée, et les services de l’Etat.

Il y a aussi de bonnes raisons de ne pas fusionner : crainte des habitants de perdre la maîtrise de leur commune, crainte d’abandonner le Conseil général, crainte de voir débouler la proportionnelle et les partis avec leur cuisine ; crainte des employés communaux de perdre leur travail ; crainte du contribuable d’une commune riche, appelée à fusionner avec des communes qui le sont moins, de voir ses impôts augmenter ; crainte des communes périphériques de voir les bureaux administratifs s’éloigner. Ces craintes sont raisonnables et généralement fondées, au moins partiellement. Elles peuvent faire l’objet d’une pesée d’intérêts et d’arrangements intercommunaux.

D’autres oppositions, plus profondes et moins susceptibles d’arrangements, se fondent sur un attachement personnel aux armoiries ou au nom de la commune. Certains anciens ne supportent même pas la modification du territoire communal, dont le dessin exact, connu et parcouru jusque sur les talus les plus escarpés et dans les forêts les plus touffues, exprime (et fonde) quelque chose de leur identité personnelle.

La perte du lieu d’origine, ou plus exactement son remplacement par la nouvelle commune, bouleverse plus d’un citoyen. Sur ce point, toutefois, une solution est en train de se dessiner. Nous y reviendrons à l’occasion.

On aurait tort de mépriser ces sentiments et de les rejeter sous prétexte qu’ils sont irrationnels. Irrationnel ne veut pas dire sans fondement. D’ailleurs, ce sont ces sentiments-là, et pas des réflexions rationnelles sur les institutions, qui inspirent aux habitants de consacrer du temps et de la peine à leur commune.

Cette année même, à la suite des récents échecs, un postulat Nicolas Rochat Fernandez et consorts « Pour une réforme du processus et des modalités des fusions de communes » a été déposé au Grand Conseil. Il pose quelques questions essentielles qui nourriront prochainement les débats du législatif cantonal.

Il faut aborder ce postulat en gardant à l’esprit que l’important, ce n’est pas les fusions, mais les communes. Ce qu’il faut, c’est que chaque commune vaudoise, fusionnée ou non, soit à l’aise dans ses frontières et efficace dans ses fonctions.

Chaque fusion est une affaire particulière. Telle est nécessaire, telle autre est défendable, étant relativement fondée géographiquement et historiquement, une troisième est discutable, voire incohérente. Une fusion hâtivement conçue peut empêcher une fusion plus équilibrée. Cela s’est vu. C’est dire que le refus populaire d’une fusion n’est pas forcément un échec politique.

Il faut enfin être conscient de ce que les communes sont des entités anciennes (certaines plus que le Canton) et durables. Dans cette perspective du temps long, l’échec d’une fusion n’est qu’un incident, heureux ou malheureux, de parcours. Cela impose de conserver une certaine distance.

Le postulat Rochat Fernandez propose d’abord que la loi contraigne les municipalités à présenter un préavis d’intention au Conseil général ou communal. Ce préavis, approuvé ou non par le législatif, serait également soumis au vote de la population. Un refus exprimé d’entrée de cause éviterait ces safaris aventureux qui conduisent avec certitude à l’échec.

Pour éviter que l’impécuniosité de certaine communes désirant fusionner ne les en dissuade, M. Rochat propose ensuite que l’incitation financière aux fusions soit plus généreuse, à l’image de ce que fait le canton de Neuchâtel, par exemple.

Enfin, en cas d’échec d’une fusion devant la population, et pour ne pas gaspiller les fruits d’un travail de plusieurs années, les communes acceptantes devraient pouvoir poursuivre le processus sans repasser par un vote populaire. On soumettrait la convention de fusion, modifiée sur les points nécessaires, à la décision du seul Conseil général ou communal. La population ne se prononcerait que sur référendum.

Le souci exprimé par le postulat est fondé : il ne faut pas que les municipalités se laissent entraîner par un enthousiasme de commande. Elles doivent examiner à fond et objectivement tous les motifs d’opposition, qu’ils soient bons ou mauvais, rationnels ou irrationnels, de fond ou de circonstance. C’est seulement après qu’elles pourront juger sereinement si le jeu en vaut la chandelle.

Il n’est pas moins important de s’assurer, autant que faire se peut, du soutien de la population et de la tenir au courant de l’avance des réflexions et des travaux.

Pour autant, nous avons de la peine à nous rallier aux deux votes successifs sur le préavis obligatoire. Nous croyons que les autorités communales sont aptes à tirer tous les enseignements des échecs récents sans devoir s’imposer ces deux étapes supplémentaires. Ces échecs, expériences douloureuses et même humiliantes, vont inciter les municipalités, dûment informées par le délégué de l’Etat, à une très grande prudence. On ne risque plus de voir, comme ce fut le cas il y a quelques années, un projet de fusion dont les habitants des communes concernées avaient appris l’existence par une grande annonce dans 24 heures, avec photos de syndics, interview fumante et tout.

Si les communes sont réellement libres de fusionner, ne faudrait-il pas parler d’aide plutôt que d’incitation ? L’incitation n’affirme-t-elle pas, certes très légèrement, une volonté de contrainte ? Une aide étatique est imaginable, dans la mesure où la procédure est imposée par le Canton. On peut la juger insuffisante. Mais à l’inverse, il n’est pas absurde de craindre qu’une augmentation des subsides n’apparaisse comme un appel de l’Etat à la vénalité des communes. A ce que nous avons entendu de la part de nombreux « comités de pilotage », l’incitation financière n’a jamais joué un rôle déterminant dans la mise sur pied d’un projet de fusion.

En ce qui concerne la poursuite d’une fusion après un échec, n’oublions pas qu’une commune fusionnée est une vraie commune territoriale, et pas seulement une idée ! Les communes acceptantes ont accepté non seulement le principe de la fusion, mais aussi le dessin de la nouvelle entité, ses frontières, sa cohérence territoriale. Si on enlève une pièce, voire plusieurs, c’est un autre puzzle, une autre commune. Tel qui avait accepté la première mouture rejettera peut-être la seconde sans hésiter. Il nous semble plus clair et plus juste de tout reprendre. D’ailleurs, on ne reprend pas à zéro, il s’en faut. Une deuxième votation peut aller vite : la fusion à douze communes de Valbroye a échoué le 8 février 2009 ; elle a été acceptée à huit communes le 15 juin 2010.

Il faut modifier certains comportements, il n’est pas nécessaire de modifier la loi.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: