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Auguste Veillon, auguste peintre

Daniel Laufer
La Nation n° 2031 13 novembre 2015

Qu’est-ce qui détermine la cote d’un artiste? Est-ce son seul talent qui lui vaut l’entrée dans la Bourse des arts? Ou bien a-t-il été favorisé par quelques plumes avisées, des galeristes perspicaces? On peut se poser la même question pour ce qui touche les partitions musicales. On ne m’enlèvera pas de la tête l’idée qu’il y a des milliers de chefs-d'œuvre, peut-être même des manuscrits, dans les armoires des organistes, que leurs compositeurs ont joués une fois, une seule fois, et depuis lors oubliés, inconnus, perdus… comme les fleurs écloses dans un champ que personne n’a jamais vues.

Ces questions nous viennent à l’esprit quand nous ouvrons le beau livre que Marie-Hélène Miauton et Marie Rochel ont consacré au peintre vaudois Auguste Veillon (1834 – 1890)1. Voilà un homme qui naît à Bex, le 29 décembre 1834, qui fait ses classes au collège de Payerne ou à celui de Lausanne, on ne sait pas très bien, dont son notaire de père veut faire un ministre, mais qui bifurque rapidement de la théologie (malheureusement pas à la Faculté libre) à la peinture, sans pour autant s’inscrire à quelque école de beaux-arts. Et c’est le début de la carrière d’un peintre étonnant, convaincu de ses modestes talents, et travaillant d’arrache-pied sous tous les horizons, jetant de temps en temps un regard de contentement ou de commisération sur son œuvre, comme en témoignent ses nombreuses lettres à son épouse, née Laure Karcher, qui lui donnera une fille et quatre fils. Sa passion pour son métier n’a d’égale que celle des voyages, disons plutôt: des déménagements. Il aurait pu faire sienne la réflexion de Panaït Istrati qui, lors d’un séjour parfaitement heureux, répondait à sa propre question: «Qu’est-ce qui me manque? Partir!»

Il s’installe à Genève, s’y fait construire un hôtel particulier (qui existe encore) où il aménage son atelier. Puis c’est une suite de séjours souvent assez longs, seul ou avec sa femme, sa famille ou des amis en maints lieux où il espère trouver une inspiration: après Paris et Londres avant son mariage, c’est Gênes, Rome, Naples, l’Engadine, l’Oberland bernois, le lac des Quatre-Cantons, le lac de Thoune, dans les environs duquel il passe six mois en 1868, Paris de nouveau, puis Venise, Munich, un premier, un deuxième, puis un troisième séjour en Egypte, en Palestine et à Istanbul, plusieurs séjours aux Pays-Bas, seul ou avec toute sa famille, Damas, Baalbek, Jérusalem, Athènes, retour au lac des Quatre-Cantons, Paris, le Havre… la mort, le 5 janvier 1890.

La plume précise et alerte de Mmes Miauton et Rochel (j’écris «la plume» à dessein, parce qu’on ne sait pas qui la tient) décrit un peintre toujours partagé entre sa recherche incessante de nouveaux horizons, la nécessité pathétique de la solitude et son besoin contraire et constant de la compagnie de son épouse, de ses enfants, de ses amis.

Que reste-t-il de tout cela? Nous ne connaissons l’œuvre de Veillon que par le bel ouvrage qui fait l’objet de ces lignes et par quelques toiles que nous avons pu admirer chez son arrière-petite- fille. Mais c’est déjà beaucoup. Il est vraiment étrange que son nom soit resté dans l’ombre. Si les toiles des barques du Léman ou de nos montagnes, qui ne le cèdent en rien à Bocion, sont typiques de l’Ecole de Genève, c’est-à-dire d’un genre assez conventionnel, mais qui annoncent la sûreté de son pinceau, nous n’hésitons pas à ranger presque toutes les œuvres «orientales», la majeure partie, au niveau des meilleures du XIXe siècle suisse. Il y a là des chefs-d'œuvre de poésie, de sûreté des couleurs, de rendu indéfinissable et original de l’ambiance.

A quand une grande rétrospective de cet auguste peintre?

Notes:

1 Marie-Hélène Miauton et Marie Rochel, Auguste Veillon – Des barques du Léman aux Felouques du Nil, Editions Favre 2015.

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