La chute des corps

Entendu en tendant l’oreille dans le métro M2 au départ d’Ouchy:

– Eh! Salut. Dis don, y a une paire qu’on s’est pas vues! Qu’esque tu d’viens? – Ben ça va pas mal et toi? – Moué, comme ci comme ça.

– Ah! Quesqui va pas? – Ben... J’ai des p’tits problèmes. Ecoute, ça tombe bien que j’tombe sur toi, j’ai envie de déballer. ça n’t’ennuie pas que j’te raconte?

– Bien sûr que non, j’suis tout ouïe.

– Bon j’y vais. Y a quequ’mois (t’étais encore à Nouillorque) je gambergeais vaguement sur Facebook, quand tout-à-coup j’tombe sur un mec, j’te dis paa, à tomber morte. Genre Caprio, tu vois. Du coup, je lui envoie mon selfie, bien entendu sans le moindre espoir de réaction: il venait sûrement d’en recevoir des centaines. Mais tu me croiras pas, il me répond fissa, on se fixe un rendev pour le lendemain et du coup c’est le coup d’foudre réciproque, on tombe amoureux comme des ptis ados. Le même soir, il s’amène chez moi avec sa valise et alors, j’te dis pas, pendant des jours, des nuits, des semaines, ça baigne. Seul’ment voilà, j’sais pas quand ni comment, y a eu une fausse manœuvre et paf! Je tombe enceinte!

– Ah! merde! Euh pardon: félicitation! J’trouvais qu’t’avais pas très bonne mine. T’en es où?

– Troisième mois. Note que ça tombait mal pasqu’on avait déjà pris nos billets pour une semaine aux Maldives pour y faire d’la plongée, avant que ces îles, tu sais, elles disparaissent. Tu sais, bon. D’ailleurs, question hôtels, paraît qu’c’est pas mal, mais question gynéco, faudrait r’passer, m’a dit mon toubib. Heureusement, j’avais pensé à une assurance annulation.

– Et alors lui…

– Lui, il est tombé des nues quand j’y ai annoncé l’heureuse nouvelle. Y m’a dit: alors qu’est qu’on fait? J’y ai répondu: rien. Je le garde. Là, il est tombé assis. J’y ai dit: pas de discussion, j’le garde, toi, fais c’que tu veux, moi, je démerderai. Bon, y dit, mais ça fait des sacrés problèmes. J’y ai répondu: pour qui?

Là, on s’est tapé quat’jours à Barcelone pour se consoler des Maldives et permettre à Monsieur de poursuivre ses réflexions en terrain neutre. Mais l’ambiance, te dis pas.

– Ah, t’as pas pris au retour l’avion qu’a failli tomber? J’ai entendu ça aux nouvelles.

– Première nouvelle. En tout cas je n’ai rien remarqué. Mais au retour il est parti pour queques jours, sans sa valise, chez papa-maman (qu’il a dit), pour continuer à réfléchir aux problèmes. Moi, j’me suis tenue à carreau, mais lui, y passait pour un oui ou un non, il assaillait mon smart jour et nuit, alors j’bouclais, alors c’étaient les SMS, les twitt, les mailles et ça continue et j’en ai ras l’bol, surtout qu’il prend jamais d’mes nouvelles et j’vois bien qu’c’est pas moi qui lui manque, c’est mon plumard.

Mais voila qu’l’aut jour un bon copain (un mec qui m’drague vaguement) me dit: faut qu’te dise, charitablement, qu’l’aut soir, au MAD, on a vu Constant…

– Comment, Constant? Y s’appelle Constant?

– Oué, j’voulais pas t’le dire, mais bon. Donc on l’a vu dans un coin peu éclairé avec une nana apparemment pas mal roulée et ça paraissait pas mal intime.

– Mais dis-donc, ses vieux, quand ils ont choisi ce prénom, y pensaient à quoi?

– Allez savoir. Y a des prénoms prédestinés à l’envers. Enfin lui, depuis que, bon, j’sais pas s’il est tombé sur la tête mais en tout cas il est tombé bien bas.

alors j’y envoie un maille pour lui demander si y a encore beaucoup de coups d’foudre à prévoir et si on va vers un orage total. Alors lui, c’est le grand cinéma, y vient pleurer dans mon ticheurte, comme quoi je suis la seule, qu’il y a que moi qui compte, que le MAD, c’était juste un p’tit accident sans gravité ni conséquence (on espère) et il me jure que, nia-nia-etcétéra.

– Avec ça il est p’têtre marié, divorcé, pacsé…

– J’m’en fous, j’en ai rien à cirer. Mais toi, qu’esqu’tu frais à ma place?

– Euh dis-donc, on a passé Riponne Béjart et Bessières, on arrive à Ours-Brélaz. Moi j’descend au CHUV. Pis toi?

– Moi, à Fourmi-Madame.

–??

– Ecoute, on s’rapelle demain.

– Sûr. Tchaô!

– Eh dis-donc tu m’as pas répondu, qu’estu frais à ma place.

– Ben moi, j’laisserais tomber.