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Idéal ou évidence? Il faut choisir

Jacques Perrin
La Nation n° 2040 18 mars 2016

Oskar Freysinger préside aux destinées du Département de la Formation et de la Sécurité du Canton du Valais. Il a enseigné l’allemand durant vingt-huit ans à la satisfaction des parents et des élèves, semble-t-il. Il s’est enthousiasmé pour son métier et ne l’a pas quitté parce qu’il s’y ennuyait ou qu’il ne parvenait pas à faire façon des adolescents. La volonté de servir son pays l’a emporté.

M. Freysinger vient de rédiger dix thèses sur l’école. Il dit, entre autres, que la pédagogie est un art pratiqué par un maître qui a le souci d’apprendre quelque chose à chacun de ses élèves. L’enseignement implique des relations de personne à personne, mais s’exerce face à un groupe, ce qui complique l’affaire. L’engagement des maîtres et les efforts des élèves sont indispensables; les notes, la mémoire, l’apprentissage par cœur jouent un rôle important, l’échec peut avoir un sens. Il faut développer la culture générale; le contenu prime sur les structures et les moyens, aussi impressionnants soient-ils (l’informatique!). On a besoin de maîtres aussi savants qu’accomplis, sachant nouer des liens et montrer l’exemple. On insistera sur l’apprentissage de la langue maternelle et des mathématiques. La lecture d’œuvres littéraires doit être cultivée. L’école n’est ni une garderie, ni un supermarché, ni une usine à diplômes. Elle donne des repères pour la vie et fournit, indirectement, un enseignement moral reposant sur l’étude de notre civilisation et de notre histoire. Dans un canton bilingue comme le Valais, l’apprentissage des langues sera particulièrement soigné. La bureaucratie a besoin de limites, les décisions pédagogiques seront prises au sein des établissements et des classes.

Voilà des idées qui nous semblent évidentes, à nous et à la plupart des enseignants, valaisans ou vaudois.

Or nous vivons une époque où les évidences sont méprisées par les esprits forts, par l’union sacrée de quelques journalistes avec les chercheurs des HEP, les syndicalistes harmosistes («il faut respecter les accords intercantonaux»… préparés par les copains), les politiciens de gauche et du centre-gauche, alliance apte à faire adopter n’importe quelle réforme piteuse.

Ce petit monde accueille fraîchement les thèses de Freysinger: preuve en est un article paru dans Le Temps. Le ministre valaisan appartient au parti UDC, son compte est bon. Il est prétendument inspiré par le philosophe Jean Romain (dont on oublie de dire qu’il est affilié… au PLR genevois), il exprime de grands principes «populistes» et «rétrogrades»; c’est «le retour à l’école des régents»; Freysinger «rend l’école plus conservatrice», il veut «nous ramener cinquante ans en arrière, au temps de l’école de grand-papa». Haro sur le baudet!

L’article, daté du 1er mars, signé Xavier Lambiel, s’intitule: «L’école fantasmée selon Oskar Freysinger». Ce dernier est censé imaginer une école «idéale», se contentant de «belles paroles» qui «cachent quelque chose» (quoi? réd.). En même temps, selon l’avis d’enseignants choisis, le ministre «enfonce des portes ouvertes». De deux choses l’une: ou bien M. Freysinger «rêve l’école» à la manière du gauchiste moyen, ou bien il énonce des évidences pédagogiques reconnues et déjà mises en pratique par la majorité des maîtres – ce que nous croyons volontiers être l’option du ministre. Les adversaires de Freysinger ne vont certes pas s’embarrasser d’une logique de grand-papa, mais ils feraient bien de choisir: soit leur ministre dit vrai et ils doivent le suivre, soit il raconte n’importe quoi et nous leur demandons quelles réalisations miraculeuses ils opposent aux «fantasmes» du chef du Département.

Tous les enseignants apprennent aux enfants à lire, écrire et compter. De temps en temps, ils sont contraints de les éduquer, car une minorité de parents a renoncé à inculquer les bases de la civilité (bonjour Monsieur, merci Madame, veuillez m’excuser, je ramasse mes déchets, je ne détériore pas le matériel, je ne me rue pas sur le maître à la moindre injustice imaginaire, je ne coupe pas la parole à mes camarades, etc.).

Ce sont l’obsession égalitaire, l’idée de réussite inconditionnelle et la mentalité du consommateur qui mettent des bâtons dans les roues de la machine scolaire. Les adversaires valaisans de Freysinger réclament des «mesures concrètes». Les malheureux! Les «mesures concrètes», pour nous autres enseignants vaudois, se traduisent par la destruction de l’unité des classes de voie générale, la difficulté d’en exercer la maîtrise, l’abus des passerelles, les changements intempestifs de voie au semestre, les multiples intrusions départementales dans la manière de calculer échelles et moyennes, de pondérer les notes, la «réunionite» nécessitée par le travail en équipes et les «réseaux» consacrés aux victimes en tout genre, les mille et un objectifs du PER, les complications sécuritaires et hygiénistes entravant l’organisation des voyages et des courses d’école, en un mot l’accroissement de la bureaucratie, en attendant la réforme de l’orthographe…

Il paraît que, Freysinger régnant, l’école valaisanne est devenue celle de «la méfiance». Quant à nous, nous mettrions plutôt notre confiance dans un ex-collègue expérimenté qui «a pris le temps d’observer avant d’agir», – ce que ses adversaires trouvent malin de lui reprocher –, et qui inscrit les mesures à venir dans un cadre admis de tous.

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