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Notre sel

Jean-François Cavin
La Nation n° 2170 12 mars 2021

La présence de sel dans les roches de nos Alpes est connue de très longue date grâce à l'émergence de quelques sources légèrement salées, mais ce n'est qu'en 1554 que commence l'exploitation «industrielle» – c'est un grand mot pour les modestes débuts – de ce trésor caché. LLEE de Berne, souhaitant ne pas dépendre entièrement de l'étranger pour leur approvisionnement de cette denrée essentielle, ont lancé le travail; toutefois, ne s'y entendant pas bien, elles ont rapidement préféré concéder, en 1566, cette exploitation pour tout le territoire de leur gouvernement d'Aigle, contre paiement d'une dîme, à des entrepreneurs privés, avant de la reprendre eux-mêmes, après plus d'un siècle, en 1685.

C'est cette période du milieu du XVIe jusque vers la fin du XVIIe siècle que présente Mme MarlyseVernez, dans un ouvrage très complet et fouillé, paru tout récemment à la Bibliothèque historique vaudoise; l'auteur a pu compter, pour achever son immense travail alors que sa vue baissait, sur la collaboration d'une autre historienne chevronnée, Mme Lucienne Hubler.

La première source exploitée – et qui restera longtemps la principale grâce à des travaux de forage successifs – est située à Panex, au-dessus d'Ollon. C'est aussi là qu'on installa la première saline destinée à évaporer l'eau afin d'en tirer le sel. La saline fut ensuite déplacée à Roche, dans un endroit plus accessible pour le transport du bois de chauffe, puis du sel ainsi produit, une longue conduite (de bois aussi) amenant l'eau salée de la mine.

Le développement de cette industrie est dû à des concessionnaires étrangers, au premier rang desquels la dynastie des Zobel, une puissante famille d'Augsbourg, titulaire du droit de 1570 environ à 1684 (mais ils ont loué l'exploitation au Genevois Franconis dès 1677). Les Zobel, membres de la Corporation des marchands d'Augsbourg, ont des intérêts en Italie (dans le textile), dans les mines d'étain de Saxe, dans les salines de Sulza en Thuringe; malgré leur éloignement du Chablais, ils n'ont pas négligé leur exploitation du gouvernement d'Aigle. Ils ont beaucoup investi à Panex et à Roche, puis un peu au Fondement sous Arveyes où une autre source prometteuse allait prendre de l'importance, alimentant la nouvelle saline du Bévieux. La guerre de Trente ans mettant à mal leur fortune, Franconis a pris le relais avec beaucoup d'efficacité et d'engagement financier.

L'ouvrage de Mme Vernez, agrémenté d'intéressantes illustrations par la reproduction de documents d'époque, nous renseigne sur tout: sur les concessionnaires, sur leurs directeurs d'exploitation locaux, sur les ouvriers (mineurs, saulniers, forgerons, bûcherons,…) principalement venus de l'espace germanique, sur l'alimentation du personnel, sur les techniques utilisées, sur les achats de biens-fonds (surtout pour disposer de bois pour la cuite, problème récurrent), sur le volume de la production, sur l'importation de sel marin d'Aigues-Mortes en complément, qu'il fallait «blanchir», sur le rendement de l'affaire.

Les mines et salines du Chablais vaudois, dont la production restait modeste en comparaison des grands fournisseurs étrangers, ne couvraient guère que les besoins de la région; elles constituaient néanmoins une des principales industries vaudoises à l'époque de LLEE; leur valeur d'inventaire était importante; leur rendement financier, variable selon la générosité des sources et l'état des installations, semble avoir été intéressant dans la durée.

Pour qui s'intéresse à l'histoire du sel, ou à celle du Chablais, ou à celle de notre proto-industrie, le livre de Mme Vernez constitue une riche mine de renseignements.

Référence:

   MarlyseVernez avec la collaboration de Lucienne Hubler, Une pincée de sel – Les débuts de l'exploitation saline dans le Chablais vaudois, BHV 148,Lausanne 2020, 288 p.

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