L’histoire d’Albert et de Pablo ou l’extrême voracité du fisc vaudois
Nous allons vous raconter une histoire vraie, tirée de notre pratique notariale, qui vous montrera pourquoi le ministre des finances vaudois est parfois caricaturé sous les traits de l’Oncle Picsou, le canard riche et avare des studios Disney.
Un fonctionnaire vaudois à la retraite, appelons-le Albert1, célibataire et sans enfant, vient nous trouver pour «mettre ses affaires en ordre». Il établit un testament en faveur de Pablo2, un ami espagnol établi de longue date dans le Pays de Vaud avec sa femme et ses deux enfants adolescents.
Quelque temps plus tard, Albert rend son âme au Seigneur, et il laisse à Pablo une maison individuelle dans le Gros-de-Vaud, franche de dette, ainsi que quelques économies.
Une fois dressé l’inventaire de la succession, l’Administration cantonale des impôts exige la révision de l’estimation fiscale de la maison d’Albert. L’ancienne valeur fiscale de l’immeuble, remontant aux années 2000, était de fr. 560'000.-.
La commission d’estimation fiscale du district prend contact avec Pablo et elle vient visiter la maison. Résultat des courses: la valeur fiscale de la maison prend l’ascenseur et elle grimpe à fr. 860'000.-.
Les incidences financières sont lourdes pour Pablo. L’impôt successoral est de 50% entre personnes non apparentées, et il porte sur le 80% de l’estimation fiscale. Rien que sur le bien immobilier, l’impôt passe donc de fr. 224'000.- à fr. 344'000.-, soit une augmentation de fr. 120'000.-! Quant à l’impôt sur la fortune, calculé uniquement sur la maison, il augmente de plus de fr. 2'000.- par année…
Pablo et sa femme ont dû emprunter sur l’immeuble pour remplir leurs obligations fiscales, et accessoirement le bas de laine de l’Etat de Vaud. Ils ont sans doute pensé que le cadeau d’Albert était un peu empoisonné.
C’est scandaleux, me direz-vous; peut-être sur le plan moral, mais pas selon la loi. Celle-ci permet à l’autorité de demander la révision de l’estimation fiscale lors d’un transfert3. La procédure appliquée dans le cas d’espèce peut paraître discutable, mais elle est bel et bien pourvue d’une base légale claire.
Relevons en passant une entourloupe législative: la loi de 1963 prévoyait un délai de 60 jours pour que l’autorité ou les parties puissent demander la révision de l’estimation fiscale. Or, ce délai a été supprimé par la loi budgétaire à fin 2006. Le risque de révision n’est donc théoriquement plus limité dans le temps…
Moralité de notre histoire: si vous voulez gratifier un proche d’une libéralité, assurez-vous qu’il puisse payer les impôts découlant de votre générosité, et méfiez-vous en tout temps de l’extrême voracité du fisc vaudois.
Notes:
1 Prénom d’emprunt, ou nom connu de la rédaction, comme on dit dans la grande presse.
2 Voir la note précédente.
3 Art. 23 al. 2 de la loi vaudoise du 27 février 1963 concernant le droit de mutation sur les transferts immobiliers et l’impôt sur les successions et donations (LMSD); voir aussi l’art. 20 de la loi vaudoise du 18 novembre 1935 sur l’estimation fiscale des immeubles (LEFI).
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Trop de paramètres, trop de changements, trop d’incertitudes – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Notre sel – Jean-François Cavin
- Philippe Jaccottet (1925-2021) – Yves Gerhard
- Occident express 77 – David Laufer
- Des marchés publics locaux – Olivier Klunge
- La dette des communes vaudoises: silence! – Jean-Pierre Sueur
- Vague de froid au Texas et à la RTS – Arnaud Picard
- Le ressentiment collectif et ses effets – Jacques Perrin
- Démographie vaudoise – Jean-François Cavin
- Ouvertures et fermetures – Le Coin du Ronchon