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Démographie vaudoise

Jean-François Cavin
La Nation n° 2170 12 mars 2021

Le Courrier statistique de l'Etat, dans son numéro de mars, nous renseigne sur l'évolution de la démographie du Canton en 2020. Et nous place devant un mystère: la population a augmenté de 1,1% l'an passé, davantage que les deux exercices précédents, et ce n'est pas dû à la croissance naturelle puisque le nombre de décès a augmenté, contrairement à la natalité; c'est dû à l'immigration! En cet an de disgrâce pandémique, ce ne sont pourtant pas les emplois qui se sont multipliés. Alors? Hasardons cette hypothèse: de nombreux frontaliers auraient-ils pris domicile chez nous pour éviter d'être bloqués à la frontière sans pouvoir rejoindre le travail qu'ils avaient déjà?

C'est d'ailleurs la communauté française qui augmente le plus. Les étrangers représentent 33% de notre population, ce qui fait de notre Canton le plus ouvert à l'immigration derrière les cités frontières de Genève et Bâle-Ville, sans que cela semble entraîner de phénomènes marqués de rejet de la part de la population indigène. Cela tient probablement à la croissance de l'emploi, tellement marquée depuis quelques années sur le bassin lémanique qu'elle neutralise le sentiment que «l'étranger nous vole notre travail». Cela tient peut-être aussi à l'origine de nouveaux venus: le Portugal et la France fournissent les plus gros contingents, la seconde talonnant d'ailleurs le premier, pour la première fois, à 2000 âmes près. Or les Portugais sont sérieux, travailleurs et peu expansifs; quant aux Français, il semble que nous les accueillons volontiers.

Cela nous démarque de la réaction souvent négative de nos confédérés alémaniques envers les Allemands d'Allemagne. Pourquoi cette différence? Il y a la langue: on sait que les Suisses alémaniques détestent parler le Hochdeutsch. Tandis que nous, dont les autorités ont éradiqué le patois au XIXe siècle, parlons spontanément presque la même langue que nos voisins – certes avec un vocabulaire enrichi de quelques savoureux héritages de notre passé franco-provençal et avec un accent plus agréablement chantant – mais nous entendons sans effort les Savoyards, les Jurassiens d'Outre-Jura, et même les Parisiens au parler pointu; et réciproquement. Et puis, il y a peut-être autre chose: la grande Allemagne, si forte et si exemplaire depuis trois quarts de siècle, a de quoi impressionner, voire nourrir chez ses petits frères helvétiques un léger complexe d'infériorité; tandis que pour nous, la France, certes mère de notre culture littéraire, amène sur nos lèvres un sourire un peu narquois, du fait de son esprit cocardier contrastant avec la faiblesse de son économie et l'instabilité de sa politique; elle n'a pas de leçon à nous donner.

Revenons à la croissance inattendue de la population. Est-ce un sursaut de la courbe sans lendemain? Est-ce au contraire le retour à la tendance profonde qui nous conduirait à compter un million d'habitants dans une vingtaine d'années? Disons que notre Canton, toujours en retard d'un gymnase, d'un pénitencier et de quelques pistes d'autoroute, ne doit en tous cas pas relâcher son effort d'équipement.

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