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Souvenirs en clair-obscur

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2186 22 octobre 2021

C’était un mercredi après-midi de l’année 1959, au Collège de Béthusy. François Lasserre, dit «La Tomme», m’avait collé deux heures d’arrêts et j’attendais le surveillant, Gérald Widmer, dit «Féfesse», dans le grand corridor d’entrée. Soudain, un énergumène déboula du premier étage, casquette à l’envers, criant à tue-tête «pin-pon, pin-pon!». Il fit deux tours du hall et remonta à toute vitesse par l’autre rampe, sourd aux injonctions de Féfesse, qui venait d’arriver, gagnant ainsi une nouvelle dose d’arrêts pour le mercredi suivant. Ce fut mon premier contact avec Claude Paschoud. La rumeur m’apprit ultérieurement que, seul de toute l’histoire du Collège, il avait doublé une année à cause de la note de conduite. «Paschoud, toujours en retard d’une année, d’une idée et d’une excuse…» avait dit, aux grabeaux de fin d’année, le directeur Georges Michaud, pastichant Rivarol d’un ton infiniment las.

Il participa au camp de Valeyres au début des années 1970. Son intelligence rapide et tranchante impressionnait, mais son attitude constamment sarcastique troublait les personnes sensibles, rendait les relations incertaines, et l’amitié difficile. Il aimait engendrer toutes sortes de «malaises», comme ça, juste pour épicer l’instant. Il les accompagnait d’un petit rire sec et moqueur. Voyant que j’avais un pied dans le plâtre, il me fait, l’air soucieux: «J’espère que ce n’est pas le pied avec lequel tu dessines.» Il eût volontiers fait sienne la formule de Cyrano: «Eh bien! Oui, c’est mon vice. Déplaire est mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse.»

Il relevait son discours de formules péremptoires: les soldats paient de leur vie les erreurs de l’avancement; le fascisme, c’est le romantisme en politique; les paysans ont toujours raison; etc.

En 1970, il créa, avec celle qui allait devenir sa femme, Mariette Pache, et quelques amis, principalement zofingiens, le périodique Le Pamphlet. La devise en était «Ne pas subir». Ce journal drôle et bien écrit lui donna une certaine existence publique, qu’il mit en valeur à sa façon. Ayant appris que La Feuille d’avis de Lausanne allait troquer son titre contre celui, plus moderne, de 24 heures, il se hâta de déposer lui-même le titre auprès de l’administration cantonale… au profit du Pamphlet : il dégusta, il ne fut pas le seul, le «malaise» qui sévit alors au siège du quotidien lausannois. En 1973, il créa le «Prix Cornichon», décerné, «pour l’ensemble de son œuvre», au conseiller fédéral Rudolph Gnägi, alors chef du département militaire. Le prix fut remis en grande pompe au Palace de Lausanne, mais à un personnage qui portait un masque à son effigie, M. Gnägi n’ayant pu se libérer.

En 1974, il rendit un fier service à la Ligue vaudoise en reprenant un secrétariat laissé à l’abandon. Il réorganisa l’administration, notamment celle des Entretiens du mercredi. Mais il ne supportait pas que la vie fût un trop long fleuve tranquille et claqua la porte à la suite d’un différend avec M. Regamey.

Il travailla comme chef du service juridique de l’Office cantonal de contrôle des habitants et de police des étrangers de 1988 à 1990. Notre rédacteur en chef Pierre Bolomey, qui fut l’avocat de nombreux requérants d’asile, considérait que Claude Paschoud était le plus compétent des fonctionnaires auxquels il avait à faire, et aussi l’un des plus humains. Il regretta qu’il arrête et s’installe comme conseiller juridique indépendant.

«Les non-fumeurs, pouvait-on lire sur la porte de son bureau de conseiller, sont juste tolérés.»

Le Pamphlet avait repris les positions de La Nation en matière de fédéralisme, d’armée et d’école. Il s’en distinguait par un ton nettement plus pamphlétaire et, sur le fond, par son rejet obstiné des revendications jurassiennes. Quand, en 1986, Mariette et Claude firent leurs les théories des milieux négationnistes européens, cela choqua beaucoup de leurs amis. Certains d’entre eux, atteints au cœur, rompirent brutalement et pour toujours, d’autres se contentèrent, à la vaudoise, de s’éloigner. L’affaire fut aussi l’occasion pour la presse de faire payer dans le sang quinze ans de guérilla anti-médiatique ininterrompue. Claude Paschoud nous reprocha toujours de n’avoir pas, à cette occasion, pris la défense de sa femme, dont les carrières professionnelle et militaire s’écroulèrent dans la tourmente.

On aurait pu penser, alors, que Le Pamphlet allait disparaître, mais il continua encore des décennies, passant au numérique en 2016, fêtant ses cinquante ans et son cinq centième numéro l’année dernière. C’est le fils de Claude et Mariette, Michel, qui a repris la rédaction en chef. Doué du talent de ses père et mère pour l’écriture, il continue dans le même esprit rebelle, mais a laissé tomber le révisionnisme.

Claude est mort cet été et nous disons notre sympathie à ceux qui l’ont accompagné jusqu’à la fin, sa femme, ses enfants et ses petits-enfants.

L’une de ses citations préférées était une maxime de René Quinton: «Dans les endroits exposés, ne vous abritez pas, passez!» Mais lui, dans les endroits exposés, il ne passait pas, ne s’abritait même pas. Il s’installait, bien en vue, continuant inlassablement de décocher ses flèches acérées, sans souci du qu’en dira-t-on, et quel que fût le prix à payer.

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