Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Lisez, rêvez, écrivez, soyez généreux et surtout faites des Jaloux!

Yves Guignard
La Nation n° 2201 20 mai 2022

Parmi les récentes publications des Cahiers de la Renaissance vaudoise, on doit à la plume de Jean-Philippe Chenaux un hommage à Edmond Jaloux, écrivain, critique et poète natif de Marseille, élu à l’Académie française en 1936, tombé amoureux du Canton de Vaud et mort à Lausanne en 1949. Le nom est certes familier à ceux qui ont étudié les Lettres mais sans plus, il fait partie d’une cohorte d’écrivains brillants injustement tombés dans l’oubli. A tel point chez lui qu’on ne trouve pas même une biographie complète du personnage. Avis aux doctorants! L’ouvrage qu’on peut qualifier de monographique – étude approfondie d’un sujet précis – ne porte donc pas tant sur la vie du docte personnage que sur son activité en Suisse. Il se penche en particulier sur la Société de Poésie de Lausanne, fabuleuse aventure qui dura un peu moins de quatre années (1944-1948) et qui organisa un peu partout à Lausanne des soirées de poésie, certes, mais également des concerts, des spectacles de danse, des conférences, etc.

Le livre est construit de manière amusante autour d’une galerie de personnages – l’auteur nomme cela «portrait de groupe avec académicien» – où le projecteur est mis successivement sur les différents protagonistes de cette société. On croirait avoir affaire à une brochette de cambrioleurs ayant chacun sa spécialité, et c’est la réunion de cette bande qui permet le casse du siècle. C’est presque du cinéma.

Sans comparer le livre à un roman, on est tenu en haleine par des personnages aussi panachés qu’attachants qui additionnent leurs talents pour faire de Lausanne un écrin de la plus haute culture européenne. On voit ici s’attabler des mécènes (Emile Heubi, propriétaire de Brillantmont, qui accueille nombre de soirées dans son pensionnat vidé par la guerre, mais aussi Henri Gonthier, bienfaiteur de l’aventure et qui plus tard sera l’homme providentiel de la cinémathèque suisse), des journalistes (Henri Jaccard), des professeurs de lettres (Daniel Simond, Myrian Weber-Perret), des éditeurs (Henry-Louis Mermod et Albert Mermoud) et évidemment la fine fleur des lettres romandes avec Ramuz, Gustave Roud, Edmond-Henri Crisinel et j’en passe. On brasse aussi des générations puisqu’on croise également par bribes un Philippe Jaccottet de dix-neuf ans et un Bertil Galland collégien. L’auteur nous promène de châteaux (Glérolles, Bussigny, Etoy, Cressier) en villas cossues, en passant par les palaces et les cafés sans oublier le Théâtre municipal et le cinéma Capitole. On y (re)découvre avec délices une société de graphomanes toujours à projeter un livre, écrire un article, encenser un talent qui naît, se réjouir de ce qui est beau.

L’accent est bien sûr beaucoup mis sur Jaloux dont on découvre l’activité inlassable pour encourager et porter loin le rayonnement de Lausanne et de nos écrivains. On y trouve des mises au point sur ce qui peut expliquer un peu que son astre ait pâli – il a écrit quelques articles pro-Pétain et participé à un journal d’extrême-droite (pour n’y parler que de culture). L’auteur prend aussi le temps de souligner le rôle capital de femmes de l’ombre (Lily Heubi, Rose-Marcelle Courvoisier et Germaine Jaloux) et s’interroge sur le peu de reconnaissance de la commune de Lutry qui de manière très vaudoise – cocktail de timidité, de réserve, de méfiance aussi – refuse dans les années cinquante de lui consacrer une rue car «s’est-il vraiment intéressé à la vie du village» celui qui a vécu là de 1937 jusqu’à sa mort en 1949? L’apport en tout cas fondamental de ce livre est bien de rappeler que Jaloux n’a eu de cesse d’aider – par un article, une préface, une conférence, une invitation, une recommandation, une mise en relation – au rayonnement culturel de Lausanne et du Canton, et ce pendant plusieurs décennies. Surtout, sa générosité, son talent, sa hauteur de vue ont inspiré les plus jeunes générations, et tout particulièrement celui dont il fut le mentor, Weber-Perret qui fonde la revue Vie, Art, Cité en 1947 puis lance l’Alliance culturelle romande en 1960 et qui va écrire un nouveau chapitre de ce rayonnement. Le livre terminé, on regardera bien des lieux avec un œil neuf, on ajoutera bien des lignes à sa liste de livres à lire tandis qu’on est également partagé entre la nostalgie de n’avoir pas connu cela et la fierté que cela se soit bel et bien produit, ici, chez nous.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: