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Réformer la Caisse de pensions de l’Etat de Vaud

Jean-François Cavin
La Nation n° 2231 14 juillet 2023

L’âge de la retraite excite les passions. En France, le report voulu par le gouvernement a occasionné des manifestations, des grèves qui ont mis à mal le pays, un risque de blocage au Parlement, si bien que le président jupitérien a dû foudroyer l’opposition en recourant à la procédure-éclair du 49.3. Pourquoi cette obstruction? En résumé, parce qu’on ne touche pas aux «acquis sociaux». En Suisse, la proposition de repousser d’un an l’âge de la retraite des femmes a suscité la colère de milieux féministes, relayés par les syndicats. L’argument-massue était que ce sacrifice ne pouvait être consenti alors que les salaires féminins restent inférieurs aux masculins; or il n’y a guère de discriminations individuelles, et la différence statistique globale s’explique par le fait que les femmes (souvent immigrées et sans formation) sont majoritaires dans les métiers peu rémunérés; donnée sociologique qui n’a rien à voir avec l’âge de la retraite. Va-t-on vers un semblable blocage s’agissant de la Caisse de pensions de l’Etat de Vaud? On ne peut l’exclure selon certaines voix syndicales, après les manifestations injustifiées de ce printemps sur l’indexation des salaires.

Or la Caisse de pensions de l’Etat de Vaud (CPEV) doit être réformée. Son degré de couverture des prestations promises n’était que de 68,6% en 2022, ce qui la fragilise suivant l’évolution économique à venir et pourrait rendre nécessaire une nouvelle injection de capitaux de l’Etat-employeur (qui a déjà versé 1,8 milliard en 2013 pour combler un trou béant). Cela s’accorde d’ailleurs fort mal avec le droit fédéral, qui exige un degré de couverture de 80% en 2052. Le nécessaire remodelage peut être conçu comme une adaptation aux tendances fortes de la prévoyance, ce qui serait le mieux pour préparer l’avenir, ou comme un replâtrage minimaliste destiné seulement à améliorer à court terme la situation financière de l’institution.

Primauté des prestations ou des cotisations?

Les plans de prévoyance de la CPEV sont fondés sur la primauté des prestations. Cela signifie (en simplifiant l’explication) que les rentes de retraite sont calculées en pour-cent des derniers salaires, à raison de 60% du salaire assuré moyen des dernières années, avec une durée de cotisation de 38 ans pour obtenir la rente pleine. L’âge minimal de la retraite est fixé à 62 ans en général et à 60 ans pour les institutrices et les instituteurs, les policiers, les agents de détention et le personnel hospitalier.

La primauté des prestations apporte certes un agréable confort aux assurés, puisque leur rente n’est pas fonction des cotisations versées. Elle présente cependant divers inconvénients. On a cité des cas, dans certaines caisses de droit public, de promotions artificielles en fin de carrière destinées à améliorer la rente. Surtout, ce système expose la caisse à des déséquilibres financiers, notamment en cas de faible rendement de la fortune ou d’inflation prononcée: les salaires se gonflent, mais les cotisations des années passées restent à leur niveau plus modeste. Dans ces cas, la caisse compte en fait sur la solidarité des jeunes générations pour financer les prestations imprudemment promises aux anciens; cette fuite en avant postule le renouvellement constant, voire la croissance de l’effectif des assurés, donc une politique étatiste sans relâche!

Ce système est en voie de disparition. En Suisse, seuls 6,8% des assurés au deuxième pilier en bénéficient. S’agissant des caisses de pensions cantonales, il semble que seuls Genève et Vaud l’ont maintenu. Ailleurs, c’est la primauté des cotisations qui s’impose: les rentes sont calculées en fonction du capital accumulé sur la tête de l’assuré, grâce aux cotisations et au rendement de la fortune. C’est une conception beaucoup plus sûre, qui évite les inconvénients signalés plus haut.

L’Etat de Vaud devrait franchir le pas, avec les précautions nécessaires pour que le changement n’implique pas de pertes trop grandes pour les assurés vivant la transition.

L’âge de la retraite

L’espérance de vie ne cesse de s’accroître. En 1940, à l’âge de 65 ans, il restait 12 ans à vivre pour les hommes, 14 ans pour les femmes. En 2017, on postule que c’est 21 ans pour les hommes et 25 ans pour les femmes. Ne pas tenir compte de ce fait fondamental serait de l’aveuglement.

On ne voit aucun motif valable de fixer la retraite des employés de l’Etat à un autre âge que celui de l’AVS, comme pour la plupart des salariés de l’économie privée. D’autres cantons ont d’ailleurs franchi le pas. Pour les institutrices et les instituteurs, on n’est plus à l’époque où les régents, frais émoulus de l’Ecole normale, commençaient leur carrière à 20 ans. On invoque l’usure due à l’indiscipline des élèves (et à l’incorrection des parents?). Peut-être; voyons tout de même ce qu’ont fait d’autres cantons. Pour les policiers, on admet sans peine qu’ils doivent être en bonne forme physique pour arrêter les malfrats; il conviendrait cependant d’examiner le nombre de postes plus tranquilles offerts en fin de carrière. De même peut-être pour le personnel des pénitenciers et des hôpitaux. Il ne suffit pas de perpétuer des privilèges; il faut en documenter la justification actuelle.

65 ans en règle générale: c’était la mesure envisagée par les responsables de la CPEV en 2019 déjà. C’est ce qu’il faut fixer dans le règlement à revoir pour 2025, la rente pleine étant acquise après 40 ans de cotisation (au lieu de 38) selon un usage assez général. Il est entendu que le saut ne saurait être brusque et que l’adaptation, progressive, peut s’opérer sur une très longue période.

L’attrait de la fonction publique

Il est parfois prétendu que des conditions favorables en matière de prévoyance sont la contrepartie de salaires plus faibles dans la fonction publique que dans l’économie privée. Cet argument ne tient guère. Le salaire annuel médian à l’Etat de Vaud est d’environ 74’000 francs, contre environ 77’000 dans l’économie vaudoise en général; la différence est minime. Et, même réformée comme nous le proposons, la CPEV restera parmi les institutions de prévoyance les mieux dotées, avec des cotisations de l’employeur de 15,5%. On pourrait en outre la renforcer en diminuant la «déduction de coordination», cette première tranche de salaire qui n’est pas assurée, ce qui améliorerait notamment le sort des femmes travaillant à temps partiel.

Qui décide?

La loi fixe le montant des cotisations, mais les plans de prévoyance sont du ressort du Conseil d’administration de la CPEV, organe paritaire qui édicte le règlement, après consultation de l’employeur et d’une assemblée des délégués représentant les assurés. On aimerait penser que ce Conseil d’administration sera assez indépendant pour agir dans l’intérêt de la caisse et adopter les mesures souhaitables. Les dernières esquisses de réforme, qui n’ont rien de définitif, se bornent à fixer l’âge minimal de la retraite à 64 ans en général, 62 pour certains, avec une durée de cotisation de 40 ans pour obtenir la rente pleine et le maintien de la primauté des prestations. C’est bien timide et il serait dommage de manquer l’occasion d’un aggiornamento plus complet. Et d’ailleurs, en cas de mobilisation tonitruante de la gauche politico-syndicale, le Conseil d’administration aura-t-il même la force d’imposer ce programme minimum?

Il serait peut-être utile que, pour équilibrer le débat, un comité constitué de personnalités compétentes et sensées prépare, au grand jour, une initiative populaire visant à inscrire dans la loi les principes d’une prévoyance adaptée aux réalités d’aujourd’hui. S’il fallait en définitive la lancer pour surmonter une obstruction des conservateurs de gauche, elle aurait probablement du succès auprès d’une population peu encline à perpétuer des privilèges infondés de la fonction publique.

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