Lumineuses orgues de la cathédrale
Les orgues de la cathédrale ont 20 ans. Pour célébrer cet anniversaire, l’infatigable Jean-Christophe Geiser a monté le spectacle «Organissima et Lux». Au clavier de l’orgue qu’il tient tous les dimanches lorsqu’il ne sillonne pas l’Europe pour y donner des concerts, il déroule une virtuose «Nativité gothique». Un Noël populaire du XVIIIe ouvre les feux, suivi des variations de la partita «Sei gegrüsst Jesu gütig» de Bach (1705). Une «Suite gothique» de Boellmann (1897), puis des œuvres de Widor, dont la célèbre Toccata de sa 5e symphonie, grand classique des mariages royaux, terminent le concert avec éclat.
Les piliers vibrent sur le final. Et quand l’organiste, modeste, se lève au pied du plus grand orgue de Suisse, le public demeure hébété. Qui souhaite, jusqu’au 10 décembre, encore assister à ce concert, doit se préparer à un temps de désengourdissement hypnotique.
Car le spectacle n’est pas que musical. Nous devons à Nicolas Hesslein les illuminations des orgues et de la nef qui accompagnent le musicien. Des images de la Vierge à l’enfant, un immense visage du Christ jaillissant sur la porte d’entrée, côtoient des vues de vitraux et de croix d’autel. Les images, projetées par technologie laser, évoluent calquées sur la musique. Une partie en est improvisée sur le moment. Les tuyaux d’orgues reflètent mille couleurs Des effets architecturaux arrachent un sourire. Des formes abstraites, tempêtes de grains d’or ou vagues de couleurs, s’écoulent sous nos yeux envoûtés. La réussite esthétique est incontestable.
Jésus et sa mère ne connaissent pas de concurrents à formes humaines autres que quelques bergers et angelots. Ce concert rend le spectateur contemplatif, et risque même d’en entraîner certains dans un moment d’adoration inattendu en cette cathédrale protestante. Le tout forme bien une œuvre religieuse, parfaitement adaptée au lieu et admirablement immersive.
Les organistes s’accordent pour constater un très fort engouement pour l’orgue, en particulier chez les plus jeunes. Cette année, au Festival de la Cité, il fallut refouler des dizaines de spectateurs du traditionnel concert d’orgue: la cathédrale débordait.
À l’heure où il est aussi convenu qu’à la mode d’affirmer que les églises se vident, ce constat interpelle. Et certains d’aller chercher du côté du succès de la musique dite «épique», tirée du monde des jeux vidéo et des films d’heroic fantasy, pour expliquer cet attrait pour ces puissants instruments de musique. Cela est sans doute juste, mais ne doit pas nous interdire d’aller regarder un peu plus loin.
L’émotion que Bach est encore capable de susciter chez une personne née au tournant des années 2000 demeure en partie mystérieuse. Les musicologues se confondront en explications. La meilleure reste que l’orgue, plus que tout autre instrument, allie à la beauté ce sens du sacré qui manque tant à notre époque.
(Félicien Monnier, 24 heures, 5 décembre 2023)