Le souci d’être neutre du bon côté

Une fois n’est pas coutume, la présente rubrique tentera d’aborder l’actualité dans un esprit positif. Car la guerre qui vient de commencer au sud de la Méditerranée, à défaut qu’on y puisse changer quoi que ce soit, peut aussi être considérée sous quelques aspects avantageux.

Tout d’abord, elle constitue une occasion de retenir une bonne fois pour toutes l’orthographe du mot «Libye», avec le i en premier et le y en second, ainsi que du patronyme de M. Kadhafi, avec le h après le d (mais il est vrai que savoir cela n’aura plus guère d’utilité d’ici quelques semaines).

Sur le plan international, toutes les nations ou presque expriment leur satisfaction. Les Français se réjouissent de ce que leur armée a enfin trouvé un adversaire à sa mesure. Les Corses font preuve d’une bienveillance inhabituelle en tolérant l’atterrissage d’avions français sur leur base de Solenzara – peut-être avec l’espoir de s’offrir ainsi à bon compte une forme de promotion touristique. Les Grecs, abandonnés par les touristes, tentent eux aussi de louer leurs aérodromes aux militaires de la coalition afin de se faire un peu d’argent de poche. Les Belges du nord et les Belges du sud ont retrouvé leur unité en partant en guerre contre un ennemi commun – qui risque cependant de ne pas durer très longtemps. Les Ukrainiens espèrent récupérer quelques-unes de leurs infirmières. Les Japonais peuvent s’occuper tranquillement de leur centrale nucléaire sans faire la une de chaque bulletin de nouvelles.

La guerre en Libye va aussi plaire à tous ceux qui se moquent de l’ONU – ridiculisée en l’occurrence par une résolution dont les belligérants se soucient comme d’une guigne –, satisfaire ceux qui ne croient pas au droit international – qui apparaît une fois de plus pour ce qu’il est: le droit du plus fort –, et ravir ceux qui ont toujours pensé que la coupe de cheveux de Kadhafi en faisait un dictateur infréquentable.

Mais dans toute cette agitation, c’est évidemment en Suisse que le bonheur est le plus manifeste. A Genève, le MCG va pouvoir ressortir ses affiches électorales censurées. A Berne, Mme Calmy-Rey ose désormais déposer plainte contre le leader libyen. Et surtout, le Conseil fédéral en a profité pour tester une nouvelle petite violation de la neutralité en autorisant la traversée du territoire helvétique par des véhicules militaires anglais chargés de ravitailler les unités combattantes en Italie. «Le passage du convoi est conforme au droit de la neutralité», affirme avec aplomb le communiqué officiel, confirmant ainsi la ligne directrice principale de notre politique étrangère: être neutre, c’est prendre parti en faveur des plus forts.