Traître ou martyr? - Quelques considérations autour de l’affaire Davel
Pour l’entretien du mercredi 11 décembre, nous avons reçu l’historien Nicolas Gex, qui nous a parlé du major Davel. Tous les Vaudois, ou presque, ont entendu au moins une fois ce nom; certains perpétuent l’image d’un héros, figure de l’indépendance vaudoise. D’autres préfèrent «déconstruire le mythe» et mettent en avant la trahison de Davel envers le souverain bernois. Mais qu’en est-il exactement? Quelles étaient réellement les intentions du major lors de son coup d’état manqué et pourquoi n’a-t-il pas été suivi? A quel moment les Vaudois ont-ils fait du major Jean Daniel Abraham Davel leur héros cantonal? Nicolas Gex a su répondre à ces questions en montrant l’ambiguïté du personnage. Formé à la guerre par le service étranger, Davel se fait remarquer par les autorités bernoises grâce à un engagement exemplaire dans la seconde guerre de Villmergen. Cela contribue à sa nomination en tant que grand-major par Berne en 1717: Davel devient ainsi responsable de la levée des troupes dans l’arrondissement de Lavaux. Le major était donc bien intégré au régime bernois et assermenté. Malgré tout, il marche sur Lausanne le 31 mars 1723 avec six cents hommes et va présenter ses revendications contre le souverain bernois aux autorités lausannoises. Non suivi, Davel est au contraire dénoncé à Leurs Excellences de Berne, puis jugé et condamné à mort par ses compatriotes. Il s’avère que le major Davel a agi sans aucune préparation politique, entièrement seul; ses hommes n’étaient pas au courant de ses intentions. A posteriori, nous estimons que son entreprise était vouée à l’échec. Selon ses propres aveux, il s’est fié à la Providence.
Mais le major est loin d’être un révolutionnaire qui voulait chambouler l’ordre établi, donner le pouvoir au peuple et signer avant l’heure la Déclaration universelle des droits de l’Homme. A l’image des révoltes nobiliaires françaises du XVIIe siècle, Davel se révolte contre la perte de pouvoir des sujets du souverain due à la centralisation de l’Etat qui se modernise. Pour cette raison probablement, les révolutionnaires vaudois de 1798 ne prennent pas le major pour un précurseur de l’indépendance vaudoise. Ce n’est qu’à partir des années 1840 que Jean Daniel Abraham Davel est réhabilité et élevé au rang de héros de la patrie vaudoise. Alors, traître à son souverain bernois ou martyr? Difficile à dire, tant il est vrai que le major Davel est le mythe que les Vaudois n’ont pas eu besoin d’inventer. La vérité, elle, se cache probablement dans les archives que les Bernois ont eu soin de brûler à l’époque pour étouffer au mieux l’affaire. Le mystère qui régnera toujours autour de cette histoire en fait son intérêt et n’a pas fini d’alimenter le mythe.
A mercredi prochain!
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un révulsif constitutionnel? – Editorial, Olivier Delacrétaz
- La poésie de Sylvoisal – La page littéraire, Lars Klawonn
- Le «selfie»: me, myself and I – Julien Le Fort
- Globale, transparente, raisonnable… – Cédric Cossy
- Un premier janvier à Alger – Daniel Laufer
- Les propos d’Ueli le mal-aimé – Ernest Jomini
- Retour de Machiavel – Revue de presse, Ernest Jomini
- Débrouillez-vous! – Jacques Perrin
- 2014: lumières, blagues racistes et gentils riches – Le Coin du Ronchon