Juvenilia CXXIV

Janchiv, quinze ans, vient d’un pays extrême-oriental où l’on respire largement dans de vastes espaces voués à l’élevage des chevaux. Ici, il partage les goûts de ses camarades de classe: mangas, jeux en ligne, musiques électroniques fondées sur le fortissimo et le martellement. C’est dire que Janchiv se meut avec aisance dans la société de ses contemporains, éclatée, globalisée.

Cependant certains aspects historiques de la civilisation occidentale le rebutent franchement: par exemple l’habillement des hommes au siècle dit «des Lumières» avec ses jabots, ses dentelles, ses perruques à rouleaux, ses bas de soie, ses souliers à boucles. Comme on lui a appris les bonnes manières et que c’est un esprit subtil, il déclare que tout cela n’est «pas très masculin». Quant à Mozart, il m’interroge avec suspicion: «Vous aimez cette musique?… Je ne dis pas que c’est moche, mais c’est quand même très féminin.»

L’autre jour, Janchiv est invité à commenter ce paragraphe de Georges Duhamel, extrait de sa Chronique des saisons amères, 1940-1943: «On aurait tort de croire que la politesse est le propre des sociétés comblées. La marche triomphante de la civilisation mécanicienne, au XIX^e siècle, a contribué grandement à ruiner le sentiment de la politesse.»

On croit rêver… En pleine guerre, s’occuper de politesse!… Il n’avait que ça à faire? Ecrire des bouquins? N’importe quoi! Tant qu’il y a un ennemi, on se bat… Des bouquins…

Ignorant que Duhamel avait été un courageux médecin volontaire pendant la première Guerre, et qu’il n’avait plus l’âge de participer activement à la deuxième, Janchiv se contenta, après quelques grognements d’ours contrarié, de confirmer in petto ce qu’il pense des artistes en général: tous des…