Prophéties de va-nu-pieds

Epidémie rime avec pénurie. Pauvrement, il est vrai, mais les poètes des âges sombres s’en satisfont. Difficile d’ailleurs de parler de poésie lorsqu’on évoque ces scènes où les client (e) s des supermarchés, en mars 2020, s’arrachaient hystériquement les derniers multipacks de papier-toilette, produit qui n’a pourtant, à notre connaissance, jamais subi de véritable rupture de stock.

Nous avons par la suite appris, plus officiellement, que la pandémie entraînait des pénuries de matériels médicaux: respirateurs artificiels, gel hydro-alcoolique et bien sûr masques de protection (que plus personne ne gaspille aujourd’hui, fort heureusement, chacun ayant désormais pris le réflexe de conserver le même masque durant au moins deux mois). On nous a aussi parlé de pénurie d’oxygène, ce qui n’a rien de surprenant face au nombre de gens qui nous pompent l’air.

Depuis le début de cette année, les pénuries semblent surtout affecter, outre le bon sens et la normalité, les matières premières et les matériaux de construction, comme le bois, l'acier ou des matériaux isolants. (Touchons du bois pendant que nous en avons encore!) Il en résulte des retards de production et une hausse des prix. Dans le même registre industriel, nous avons même entendu parler d’une pénurie de vélos (ce qui explique sans doute qu’on n’en aperçoive pas sur les nombreuses pistes cyclables badigeonnées à la hâte pour conjurer le mauvais sort).

La gravité de cette épidémie de pénuries a pris des accents dramatiques au début de ce mois d’août, lorsque le journal en ligne 20 Minutes a titré: «Risque de pénurie de pantoufles en Suisse». L’article nous révélait que, dans une filiale d’un magasin de sport de Winterthour, «l’offre en termes de pantoufles pour enfants, convenant aux écoles, commence à se faire maigre». Et une lectrice du journal aurait affirmé: «Une vendeuse m’a dit qu’ils rencontraient de gros problèmes de livraison.»

A l’heure où les prophètes les mieux informés nous assurent que de nouvelles vagues de variants férocement inconnus et contagieusement nouveaux vont déferler et qu’un reconfinement draconien sera imposé dès la fin de l’année, la perspective d’un manque de pompes domestiques ne peut qu’effrayer encore davantage les pantouflards que nous devenons peu à peu.