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Droit de vote et incapacité de discernement

Benoît de Mestral
La Nation n° 2183 10 septembre 2021

Éclipsée par les grands axes de la révision totale de la Loi sur l’exercice des droits politiques (LEDP), la question du traitement des personnes incapables de discernement peut paraître marginale. Les décisions à prendre par le Grand Conseil à ce sujet sont en réalité loin d’être anodines pour diverses raisons. On se rappellera en premier lieu qu’en novembre dernier, les Genevois ont accepté à près de 75% des voix de reconnaître sans condition leurs droits politiques aux personnes concernées par une mesure de curatelle. En outre, selon les statistiques officielles, les Vaudois représentent environ 9,5% de la population suisse, mais comptent pour 26,5% des curatelles de portée générale (CPG, anciennes «tutelles» emportant une privation des droits civils) au niveau fédéral1. S’il y a bien un canton dont le traitement des personnes incapables de discernement peut avoir un impact, c’est le nôtre.

Le projet du Conseil d’Etat apporte deux changements: le premier, majeur, aligne la loi à la Constitution cantonale: la privation du droit de vote est limitée aux personnes sous CPG en raison d’une incapacité durable de discernement, alors que la loi en vigueur prévoit que sont privées de ce droit les personnes sous CPG «pour cause de trouble psychique ou de déficience mentale», c’est-à-dire pratiquement tous les cas de CPG. Le second changement, mineur, tient à la suppression de prescriptions procédurales. La majeure partie faisait doublon avec la Loi sur la procédure administrative; on peut cependant regretter la suppression de l’obligation pour la Municipalité de statuer «sans retard» sur les demandes de réintégration du corps électoral, alors que le Conseil d’Etat prétend ne pas modifier la procédure2. Ce risque de lenteur affaiblit sans raison la protection des personnes concernées. Il faut encore relever que la LEDP prévoit depuis 2005 que la procédure soit réglée en détail par le Conseil d’Etat3; en maintenant cette disposition, notre gouvernement veut-il signifier qu’il compte enfin s’y atteler?

Le rapport de la Commission publié en juillet fait état de plusieurs amendements, dont l’essentiel porte sur la procédure. Dans une période où le peuple semble de plus en plus divisé, et où les personnes exprimant des opinions minoritaires sont volontiers frappées d’anathème et qualifiées de théoriciens du complot, la mise en place d’une procédure plus rigide pour encadrer d’éventuels cas limites est louable.

La Commission propose d’inscrire dans la loi que la preuve de la capacité de discernement peut être apportée «en particulier par la production d’un certificat médical». Selon son rapport, elle ne cherche pas à donner une force probatoire accrue à ce moyen de preuve, mais simplement à informer les municipalités pour éviter qu’elles aient recours à des expertises psychiatriques4. Une révision totale est l’occasion de réfléchir sur le fond et d’éventuellement modifier la loi afin d’influencer la pratique, plutôt que de passivement adapter la loi à ce qui se fait sans y penser davantage; on ne peut que regretter cette façon de faire.

Il est bon que les tâches publiques soient exercées au plus près du peuple, c’est-à-dire généralement dans les communes. Il pourrait ici y avoir une exception: la Justice de paix dispose de moyens inquisitoires plus importants que la Municipalité, et bénéficie d’un détachement qui pourrait manquer dans les plus petites de nos communes où chacun entretient des relations personnelles avec les municipaux. Si la compétence de déterminer l’incapacité durable de discernement et de prononcer une CPG revient à la Justice de paix, à l’aide d’expertises psychiatriques et de tout autre moyen de preuve nécessaire, pourquoi ne pas passer par elle également lorsqu’il s’agit de constater le retour de la capacité de discernement de la personne sous CPG?

Pour garantir que les personnes sous CPG capables de discernement conservent leur droit de vote, la Commission propose d’imposer à la Justice de paix de communiquer aux Municipalités les motifs des CPG prononcées. Cette mesure paraît apte à résoudre le problème. Elle propose en outre de faire figurer ces motifs au Registre des mesures de protection tenu par l’Ordre judiciaire vaudois. Outre la question de la pertinence de cette seconde mesure, il est inquiétant de voir se multiplier les informations enregistrées et les entités ayant accès au registre. Une protection accrue des personnes sous CPG est justifiée, mais les récents événements de Rolle devraient inciter nos autorités à limiter les données personnelles des administrés qu’elles enregistrent sur leurs serveurs.

Notes:

1  Statistiques COMPA 2019 «Adultes – mesures en cours», disponibles sur kokes.ch >Documentation > Statistiques.

2  EMPL LEDP de janvier 2021, p. 11.

3  Art. 3 al. 4 LEDP, introduit le 1er juillet 2005.

4  Rapport de la Commission 20_REG_79 de juillet 2021, p. 15.

 

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