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Notes sur les musiques de cet automne

Jean-François Cavin
La Nation n° 2190 17 décembre 2021

L’automne musical a comblé les mélomanes vaudois, tout heureux de bénéficier, entre deux vagues pandémiques, de la vérité immédiate du concert. Car le disque nous offre de belles écoutes, Mezzo nous propose cent choses intéressantes, mais rien ne remplace tout à fait le moment unique d’une interprétation vivante. Notre public a pu faire un triomphe à des musiciens particulièrement inspirés, visiblement ravis, eux aussi, de retrouver leurs auditeurs. Aux éloges que les artistes méritent, on ajoutera quelques remarques venant à l’esprit à l’audition de diverses œuvres. Que le lecteur n’y cherche aucun thème principal; il ne trouvera ici qu’un pot-pourri.

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Notre journal a déjà mentionné l’heureuse réapparition des Cris du monde d’Arthur Honegger, œuvre presque disparue du répertoire. C’est l’occasion d’exprimer le vœu que notre grand Suisse-Français soit davantage joué dans le pays auquel il a donné Le Roi David et Judith. Le premier nommé est certes bien présent dans les programmes, à juste titre. Les autres musiques de scène ou d’oratorio le sont trop rarement, même la merveilleuse Une cantate de Noël qu’on écouterait chaque année avec joie. Quant aux symphonies, souvent âpres, mais fortement construites et d’une haute tension spirituelle, on les entend trop rarement dans nos salles.

La même remarque concerne l’œuvre de Frank Martin, que l’OCL cultivait autrefois. Les Etudes pour orchestre à cordes, par exemple, sont un chef-d’œuvre et Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke, sur le texte admirable de Rainer Maria Rilke, une partition des plus émouvantes.

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L’association Harmonia Helvetica s’emploie pour sa part à faire revivre les compositions de créateurs du pays. Lors d’un concert automnal, une révélation a été le Quintette avec piano de Gustave Doret, interprété à Morges dans la salle même où il a été créé avec Paderewski (rien de moins!) au clavier. Les thèmes sont empreints de cette fière résolution qui est une marque de fabrique de notre compositeur; mais leur traitement, souvent assez savant, leur ample développement, montrent que l’art de Doret ne s’arrêtait pas aux beaux chœurs que l’on sait, mais embrassait aussi la «grande musique».

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C’est un Gallois qui nous inspire la réflexion suivante: Karl Jenkins, venu du jazz, dont la cantate Paecemaker sa fait grand effet en octobre à la cathédrale. Elle a été écrite pour les dix ans du double attentat aérien contre les «twins» de Manhattan et met en musique les textes de célèbres pacifistes: belle manière de ne pas s’enliser dans l’esprit de vengeance. La musique de Jenkins est d’un abord aisé, vous saisit directement, sonne bien. Nous l’avons toutefois trouvée parfois répétitive, le compositeur cherchant à créer une sorte d’envoûtement par le rappel lancinant des mêmes motifs. Or, de ce procédé, qui peut être prenant, il ne faut point abuser. Nous ferions la même remarque à propos du style de Jérôme Berney, dont un chœur virtuose a proposé la musique, avec celle d’autres compositeurs suisses contemporains, lors d’un concert très original à l’église de Chailly; lui aussi, peut-être parce qu’il est batteur et que la batterie est inlassable, tend à privilégier la répétition sur le développement.

Christian Zacharias a donné naguère un exposé sur l’importance de la répétition en musique. Il est vrai que le retour des thèmes, la présence continue du sujet d’une fugue, le da capo, le genre de la variation – répétitive sans l’être vraiment – sont autant de moyens de fixer, dans la mémoire de l’auditeur, les contours d’un art qui s’enfuit; de relever le défi de retenir le temps. Mais les maîtres combinent ces procédés avec l’alternance des motifs, le développement porteur d’invention; ils ne tournent pas en rond.

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Le Festival Bach, année après année, nous apporte la visite de grands solistes et, surtout, de grands ensembles aguerris à l’interprétation des œuvres du cantor de Leipzig et de la musique baroque en général. L’édition 2021 était particulièrement relevée, avec notamment d’extraordinairement belles Vêpres de la Vierge Marie de Monteverdi par l’ensemble La Fenice conduits par Jean Tubéry et une Messe en si très finement et souplement présentée par les Viennois qui perpétuent la mémoire d’Harnoncourt. Qu’on est loin aujourd’hui des masses chorales majestueuses et carrées de l’époque de Karl Richter! Il est assez fascinant, pour l’historien de la musique, d’observer l’évolution du style d’interprétation, si radicale en si peu de temps.

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On peut voir vingt fois Les Noces de Figaro, et on ne s’en lasse pas, surtout quand l’œuvre est bien montée. C’était le cas à l’Opéra de Lausanne en novembre, avec dans la fosse un OCL insurpassable dans ce répertoire. Il convient de souligner cette réussite, car elle ne tenait à rien d’ébouriffant. La mise en scène, le décor et les costumes (superbes, de Christian Lacroix) restaient somme toute assez classiques; la Comtesse ne se vautrait pas à demi-nue dans une baignoire et Cherubino ne déboulait pas sur les planches en chevauchant un boguet. Et les solistes, sans démériter, n’étaient généralement pas de «grandes voix». Mais ils jouaient! Des vrais comédiens! Sans doute portés par une direction d’acteurs supérieurement menée! Et tout s’enchaînait sans un moment de relâchement. L’opéra: prima la parola ou prima la musica? Avec ces Noces, on aurait tendance à dire: Primo il teatro!

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