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Occident express 103

David Laufer
La Nation n° 2206 29 juillet 2022

A quelques encablures de ma maison de campagne, autant dire au milieu de nulle part, on vient d’ériger une église russe. Celle-ci rappelle les liens qui unissent la Serbie à la Russie depuis des siècles, par le double artifice de l’orthodoxie et du slavisme. Pour comprendre les raisons de ce tropisme mutuel (les fans du Spartak de Moscou déploient volontiers d’immenses banderoles «Le Kosovo est serbe» pendant les matches), il faut remonter le temps. Car si l’on ne considère que l’époque moderne, il faut admettre que ce lien est une catastrophe pour la Serbie, qui la déchire de l’intérieur, lui aliène les sympathies de l’Europe et ne lui rapporte aucun avantage matériel. Depuis des siècles, les Serbes se déchirent très littéralement sur, en gros, l’option russe ou l’option occidentale, la première étant majoritaire et campagnarde, la seconde minoritaire et urbaine. Evidemment que l’Europe et les Etats-Unis, se méfiant depuis cent ans de la Russie, se méfient aussi de ceux qui lui trouvent des charmes. Et cela coûte très cher à la Serbie, qui se trouve systématiquement suspecte de tout dès que Poutine lui rend visite ou qu’elle achète un MiG au lieu d’un Rafale. Le Kremlin sait qu’il peut – encore – compter sur le sentimentalisme panslave du peuple serbe et qu’il n’a pas besoin, comme ces rustauds d’Américains ou d’Allemands, de dépenser un seul rouble pour y parvenir. Pour comprendre cela il faut convoquer, une fois de plus, les cinq siècles d’occupation ottomane et la relégation sociale qui était réservée à tout non-musulman. Les Serbes y ont acquis un réflexe de résistance absolue, parfois suicidaire, à toute menace sur leur identité chrétienne orthodoxe, qui est ainsi devenue le cœur de leur identité nationale. Le mot orthodoxe est ici capital, car l’autre menace, théologique et militaire, qui a constamment pesé sur l’identité et l’intégrité serbes, c’est celle qui venait de l’autre côté de l’Adriatique, du Vatican. Il aura fallu attendre le Pape François et l’année 2016 en effet, avec la première rencontre entre le Pape et le Patriarche, pour imaginer un épilogue à la millénaire haine entre le catholicisme et l’orthodoxie. Depuis 1054 et le Grand Schisme en effet, les territoires orthodoxes ont été soumis à une pression telle de la part des puissances catholiques que tous ont développé une conception nationale et souvent militaire de leur confession, peuplée de monastères-forteresses et de moines-soldats. Il y a donc un réflexe défensif de survie chez les Serbes qui constamment recherchent la bénédiction du grand frère russe qui, par sa seule immensité inerte, sauvera, croit-on encore, l’âme serbe de la disparition. Et chaque fois qu’il m’arrive de plonger dans ces conceptions, c’est-à-dire plusieurs fois par jour, j’ai le sentiment de vivre en 1848 dans la fureur des révolutions nationales. Ou peut-être est-ce déjà en 2070, dans une Europe post-nationale, post-UE, fédérative et en recherche constante de ses équilibres régionaux.

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