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Notre regard sur la guerre

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2213 4 novembre 2022

La guerre qui fait rage peut se lire de deux façons. La première est que la Russie bafoue le droit international en menant une guerre d’agression dévastatrice contre l’Ukraine. Rien ne nous dit, d’ailleurs, que son chef, l’ancien kagébiste Vladimir Poutine, envisage de limiter son action militaire aux frontières de l’Ukraine. Ce despote sans aveu est une menace pour tout l’Occident, et d’ailleurs pour son peuple, qu’il considère, sans se soucier de ses souffrances, comme un réservoir inépuisable de chair à canon. Ses officiers, aussi inhumains que leur chef, commettent chaque jour des crimes de guerre sur les populations qu’ils occupent. Au-delà de la lutte héroïque du peuple ukrainien pour ses libertés, ce sont la démocratie, la morale, le droit et les droits de l’homme qui sont en jeu. Le soutien des Etats occidentaux – blocage des échanges économiques et fourniture d’armes – est entièrement justifié, mais, pour l’heure, notoirement insuffisant. Il faut l’intensifier jusqu’à ce que la Russie rende gorge. Si la Suisse conservait sa neutralité dans ce combat, qui met en jeu l’avenir de la planète, elle se ferait la complice objective du plus abject des prédateurs.

Du côté opposé, on affirme que cette guerre est voulue depuis plusieurs années par les Etats-Unis, dirigés en sous-main par la hiérarchie parallèle de l’«Etat profond». Ils profitent d’une situation déséquilibrée, qu’ils ont largement contribué à créer, pour étendre leur influence sur un monde que leurs multinationales s’apprêtent à mettre en coupe réglée. Quant à l’Union européenne, elle s’en fait le relais aveugle: les sanctions inefficaces que prennent ses membres n’atteignent que les intérêts vitaux, alimentaires et énergétiques, de leurs propres peuples. Contre eux, contre le mondialisme, contre les montages mensongers des communicants, contre les médias aux ordres, la Russie incarne, le voulant ou non, la résistance de ce qui peut nous rester de civilisation.

Tout est blanc ou noir. La moindre remarque sur l’un des camps est dénoncée comme un alignement sur l’autre camp. Tout acte militaire, occupation ou libération d’une ville, avancée ou retrait des troupes, perte de matériel, destruction de tel hôpital ou centre industriel, est immédiatement incorporé à une liturgie optimiste qui l’interprète comme un pas dans le sens de la victoire nécessaire du bien. Si votre héros marque le pas, c’est pour mieux assurer sa prise; s’il recule, c’est pour prendre son élan; s’il perd une bataille, c’est à la suite d’une traîtrise sans conséquences durables. Du côté du méchant, le moindre ralentissement annonce un recul, le recul annonce une débandade et le début évident de son écrasement. Certains professent que «la Russie a d’ores et déjà perdu», d’autres sont non moins convaincus que «la Russie a d’ores et déjà gagné».

Le camp du bien, quel qu’il soit, ne saurait ni se tromper, ni être vaincu.

Derrière les alliances de façade et les discours convenus, chaque Etat fait cavalier seul. Les Etats-Unis jouent leur jeu géo-économique sans se soucier des retombées sur les Etats européens. L’Allemagne joue son jeu sans trop s’occuper des Etats voisins, la France aussi, et les Etats scandinaves, et la Russie, et l’Ukraine, et la Commission européenne. La Suisse doit jouer le sien.

La politique, c’est l’art de faire vivre et survivre l’Etat dont on a la responsabilité, c’est-à-dire, d’abord, lui conserver la souveraineté qui garantit les libertés. Pour ce petit Etat qu’est la Confédération, expérience faite et refaite, c’est le refus armé de s’aligner sur un camp ou un autre qui s’impose, quitte à prendre, selon les besoins et en pleine autonomie, telle mesure à l’égard de tel Etat.

Que ce type d’approche soit jugé timoré et immoral par les deux camps nous désole, certes, mais ne modifie pas notre appréciation politique.

La neutralité n’est pas une politique facile, et nous pouvons comprendre que le Conseil fédéral ne puisse pas toujours s’y plier en toute rigueur. L’important est de conserver la ligne générale. C’est ce qu’il a fait parfois durant la Seconde Guerre mondiale.

La Nation n’est pas tenue par ces contingences. Elle s’en tient aux principes. Et c’est, aujourd’hui comme hier et avant-hier, du seul point de vue des intérêts suisses qu’elle réfléchit sur notre politique étrangère. Nos remarques, principalement d’ordre tactique, sur les capacités de résistance inattendues de l’Ukraine ou sur les défaillances non moins étonnantes de l’armée russe, par exemple, ne visent nullement à prendre parti, mais à tirer des enseignements de ce conflit, pour juger concrètement ce qui marche et ce qui ne marche pas, mettre à jour notre propre préparation militaire et affûter notre doctrine d’engagement.

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