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Félix Tuscher
La Nation n° 2213 4 novembre 2022

Certains hellénistes des temps héroïques, aujourd’hui blanchis sous le harnais, se souviendront peut-être en lisant ces lignes d’avoir rencontré jadis dans les austères «Editiones Helveticae» Solon, Tyrtée, Théognis, Xénophane et les autres, comme les désigne élégamment M. Yves Gerhard, auteur dans la collection «Le Chant du Monde» d’une présentation et traduction des «Poètes élégiaques de la Grèce Archaïque» (Éditions de l’Aire, Vevey, 2022).

Ma vie fût-elle doublée, aurait dit Cicéron, je ne trouverais pas le temps de lire les poètes lyriques! Il se trouve en effet qu’en comparaison de la poésie épique, illustrée par Homère, ou didactique, représentée par Hésiode, la poésie lyrique des anciens Grecs fait plutôt figure de parent pauvre, et la poésie élégiaque à plus forte raison, puisqu’elle n’en constitue qu’une sous-catégorie… La faute, entre autres, aux incendies partiels, mais récurrents, de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie (48 av. J.-C., puis 270 et 642 apr. J.-C.).

La poésie élégiaque grecque ne nous est donc parvenue que sous forme de fragments, cités par les commentateurs, mythographes, doxographes et autres abréviateurs antiques… ou de morceaux de papyrus miraculeusement conservés dans les sables du désert… C’est dire combien l’approche de ses auteurs requiert de compétences techniques et de prudence méthodologique… Nous sommes donc d’autant plus reconnaissants à notre ami Yves Gerhard de nous en proposer aujourd’hui une traduction française exhaustive, pourvue d’une introduction détaillée, d’une bibliographie, d’un aperçu général sur l’époque archaïque, d’une chronologie ainsi que d’excellentes notes explicatives!

Modestement dédié aux «hellénistes des Gymnases vaudois», ce recueil a vocation, par les temps qui courent, d’interpeller un bien plus large public! Comment, par exemple, ne pas voir en Solon le génial et intemporel médiateur qui trouve le secret d’apaiser le sempiternel antagonisme entre populations riches et pauvres? Comme le constate fort bien Yves Gerhard, «il reste la figure idéalisée du démocrate modéré»:

Au peuple j’ai donné autant de droits qu’il suffisait

     sans supprimer ni augmenter sa part d’honneur;

ceux qui détenaient le pouvoir et brillaient par leurs biens,

     j’ai veillé qu’eux aussi évitent toute honte;

Et dans son inconfortable situation d’arbitre entre le peuple et ceux qu’on nomme parfois, aujourd’hui encore, les «oligarques», Solon n’hésite pas à user d’un humour quelque peu cynique:

J’ai résisté de tous côtés et je me suis tourné

     comme un loup assailli par la meute des chiens

Impossible également de ne pas frémir à la terrible actualité des injonctions guerrières de Tyrtée à ses compagnons d’armes:

Il est beau de mourir en tombant parmi les premiers

pour un soldat vaillant luttant pour sa patrie.

… et de ne pas s’émouvoir du sort toujours pitoyable des migrants chassés de leur terre:

Mais abandonner sa cité et ses grasses campagnes

     pour devenir mendiant, c’est de tout le plus triste,

et se mettre à errer, avec sa mère et son vieux père

     et ses enfants petits et sa fidèle épouse;

Dans un registre moins sombre, on ne manquera pas d’apprécier le scepticisme souriant du philosophe Xénophane, qui résume en ces termes l’anthropomorphisme invétéré des croyances religieuses de son époque:

Les hommes s’imaginent que les dieux sont engendrés,

qu’ils ont leurs vêtements, leur voix et leur aspect.

Si les bœufs, les chevaux ou les lions avaient des mains

et pouvaient peindre de leurs mains et sculpter comme nous,

les chevaux traceraient des images de dieux

semblables aux chevaux, et les bœufs à des bœufs,

et représenteraient leur corps comme ils en ont eux-mêmes.

À noter que dans son travail de traducteur, Yves Gerhard fait constamment preuve d’une rigueur et d’une honnêteté intellectuelles sans pareilles! Pas question, pour lui, de solliciter l’original grec afin d’en agrémenter la traduction… En faisant «primer», comme il le dit lui-même, «la précision sur l’élégance», il rompt avec un certain laxisme hérité du Grand Siècle et de ses «belles infidèles»! L’helléniste appréciera – et le non-helléniste également, car il dispose ainsi d’un texte auquel il peut se fier.

En 2005, aux Editions de l’Aire, Yves Gerhard nous avait déjà gratifiés d’une traduction commentée de la Théogonie d’Hésiode (le volume comprenant aussi Les Travaux et les Jours, traduits par Lucien Dallinges). Qu’il soit ici remercié pour son excellente et si précieuse édition des «Poètes élégiaques de la Grèce Archaïque»!

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