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Roméo et Juliette de Berlioz

Frédéric Monnier
La Nation n° 2215 2 décembre 2022

Hasard des programmations de concerts, on a pu entendre à Lausanne deux œuvres majeures d’Hector Berlioz dans l’intervalle d’une semaine, l’une archi-connue, l’autre beaucoup moins. Dirigés par Claire Gibault, l’orchestre de l’HEMU et le Sinfonietta de Lausanne ont donc joué la célébrissime Symphonie fantastique le 17 novembre dernier à la salle Métropole. Sept jours plus tard, le Théâtre de Beaulieu retentissait des accents de la symphonie dramatique Roméo et Juliette pour trois voix solistes et chœurs, interprétée par l’Orchestre de la Suisse romande sous la direction de Daniel Harding, avec le concours du Chœur de l’Orchestre de Paris. Ayant assisté au second de ces concerts, c’est donc de celui-ci que nous rendrons compte.

Voici une partition bien hétéroclite, aux enchaînements parfois curieux et peu compréhensibles (surtout lors d’une première écoute), avec un final dans le style plus pompier que grandiose; mais elle recèle tant de belles pages qu’on peine à comprendre qu’elle ne soit pas vraiment entrée au répertoire des orchestres (sauf peut-être certaines pages symphoniques détachées de l’ensemble). Ferait-elle peur par ses dimensions (elle dure une heure et demie, et Berlioz évoque le chiffre de 270 exécutants!)? Mais certaines symphonies de Mahler (notamment les 2e, 3e et 8e avec voix solistes et chœurs) requièrent également des effectifs énormes et dépassent largement l’heure, elles sont pourtant au répertoire des orchestres du monde entier, sans parler des innombrables enregistrements qui en ont été faits. On peut incriminer le livret d’Emile Deschamps qui paraît désuet aujourd’hui et fait peu honneur au génie de Shakespeare dont il s’inspire parfois de loin («Belles Véronaises, sous les grands mélèzes, allez rêver de bal et d’amour» …), mais que de livrets de cantates, d’oratorios ou d’opéras méritent pareille critique! On peut encore invoquer les interventions plutôt brèves des solistes auxquels sont confiés des rôles secondaires, ceux des deux héros étant «incarnés» par l’orchestre; Berlioz s’en explique dans sa préface à l’ouvrage: «les duos de cette nature ayant été traités mille fois vocalement et par les plus grands maîtres, il était prudent autant que curieux de tenter un autre mode d’expression. C’est aussi parce que la sublimité même de cet amour en rendait la peinture si dangereuse pour le musicien, qu’il a dû donner à sa fantaisie une latitude que le sens positif des paroles chantées ne lui eût pas laissée, et recourir à la langue instrumentale, langue plus riche, plus variée, moins arrêtée, et, par son vague même, incomparablement plus puissante en pareil cas.» Et c’est bien là, dans ces pages purement orchestrales, qu’éclate le génie de Berlioz: l’Adagio de la «scène d’amour» a provoqué l’admiration de Wagner (il s’en est souvenu en composant Tristan und Isolde); qui, aussi bien que Berlioz (Mendelssohn peut-être), pouvait tisser si subtilement l’arachnéen Scherzo de la Reine Mab? L’utilisation des silences et d’accords longuement étalés dans la scène «Roméo au tombeau des Capulets» en fait une page extraordinairement expressive et évocatrice.

Berlioz a toujours été brillamment servi par des chefs anglais (Colin Davis, John Eliot Gardiner, John Nelson pour ne citer qu’eux); le Britannique Daniel Harding n’a pas failli à cette tradition: il a su insuffler à l’Orchestre de la Suisse romande à la fois de la vigueur, de l’éclat, du rebond rythmique, de la finesse, mettant en valeur les coloris si particuliers de l’instrumentation berliozienne. Si on ajoute que les trois solistes et le chœur se sont haussés à ce niveau d’excellence, nous avions tous les ingrédients pour une soirée mémorable… sous l’œil et l’oreille attentifs de «notre» Charles Dutoit, présent ce soir-là, par ailleurs grand défenseur de Berlioz!

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