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Les églises se vident

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2218 13 janvier 2023

Les églises se vident. Tout le monde le dit et les statistiques le confirment1. Cette reculade chiffrée accable les autorités de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud. Elles en viennent à penser que l’Eglise n’est plus adéquate, que ses structures sont dépassées, ses méthodes inefficaces et son discours incompréhensible pour les nouvelles générations. Culpabilisées par un sentiment d’échec, elles multiplient leurs efforts pour prendre pied dans la modernité, dans l’espoir de se faire entendre par l’ensemble de la population. Ce souci missionnaire est des plus légitimes. Il appelle toutefois quelques remarques.

La déchristianisation n’est que très partiellement de la faute de l’Eglise. Il s’agit d’un grand mouvement de civilisation (ou plutôt de barbarie), difficile à définir de l’intérieur, impossible à maîtriser, et qui touche, chacune à sa manière, toutes les confessions. C’est une évolution générale dont nous devons affronter les retombées locales, non un problème local et provisoire qu’il nous appartiendrait de résoudre dans les délais les plus brefs.

Les églises se vident, la formule est devenue rituelle, pour ne pas dire dogmatique2. Il n’empêche que beaucoup de paroisses continuent de vivre et de se renouveler. Les autorités de l’Eglise doivent tous leurs soins à ces fidèles ordinaires qui animent leur paroisse et participent à ses activités cultuelles et sociales. Elles ne doivent pas considérer ces paroisses comme une masse de manœuvre à leur libre disposition, mais comme les principaux lieux de vie de la foi, comme les bases opérationnelles, permanentes et fiables, des actions de l’Eglise, notamment en ce qui concerne la mission intérieure.

Dans ses efforts pour se rapprocher de la société, l’Eglise est toujours tentée de recourir aux langages qui rencontrent le plus de succès: le langage quantitatif de la science et de la technique, le langage laïque et désacralisant des «valeurs républicaines», le langage égalitaire et individualiste des droits de l’homme, le langage immanentiste du paganisme écologique, le langage ésotérique des mouvances new age, sans parler du langage de la galaxie Disney, dégouttant de sentimentalité. Ces langages ne sont pas neutres. Certains sont sectoriels, et donc réducteurs, d’autres expriment une idéologie, ou des croyances religieuses extérieures au christianisme. On n’y recourt pas sans prendre le risque de vider ou de dévoyer le message chrétien.

Et c’est encore plus vainement que l’Eglise recourrait au langage de la com’, axé sur la mode et l’émotion, tout en superficie, lisse au point que l’intelligence n’y trouve rien à quoi s’accrocher.

Pour certains, la modernité devient la pierre de touche de la vérité. Lors du débat du Synode concernant la cérémonie religieuse pour le mariage des couples homosexuels, une très jeune dame déclara que les jeunes ne voyaient pas où était le problème. Son intervention faisait implicitement prévaloir l’avis ignorant et désinvolte de quelques jeunes contre deux mille ans d’interprétations unanimement contraires: la jeunesse, porteuse d’avenir, parlait, l’Eglise, sous peine d’inexistence, ne pouvait que se plier.

Mais une Eglise qui ne fait que répéter platement, et avec retard, ce que tout le monde dit, a-t-elle encore sa raison d’être?

Le message traditionnel de l’Eglise n’est plus en phase avec le monde. Bon. L’a-t-il jamais été? La disjonction n’est-elle pas inévitable? Dans le monde, mais pas du monde, l’Eglise est naturellement de biais par rapport au monde. Cette disposition inconfortable est une originalité de la religion chrétienne. Elle nous tient en éveil. Elle nous dit quelque chose de notre relation avec la vérité.

L’Eglise n’est pas d’abord une catégorie démographique. Cessons de nous persécuter nous-mêmes avec des considérations statistiques secondaires! Si les cinq cents lieux de culte de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud étaient pleins tous les dimanches, cela ne représenterait encore qu’une petite minorité de la population.

Qu’est-ce qui fait qu’une église est «pleine»? Une seule âme, quel auditoire immense! disait Lacordaire, le grand prédicateur dominicain, que le pasteur Chavannes aimait citer. Pensons encore que la prière d’intercession de quelques-uns porte bien au-delà des murs du bâtiment qui les abrite. Et s’il se trouve dix justes dans une église, n’est-elle pas pleine à ras bord? Et quand seulement deux ou trois sont réunis en Son nom, le Christ n’est-il pas présent au milieu d’eux? Il remplit l’église, et l’église ne se vide pas.

Notes:

1      Notons qu’elles se vident depuis plus de cinquante ans et qu’elles ne sont toujours pas vides. Elles devaient être incroyablement pleines, à l’époque!

2     J’ai entendu prêcher sur le thème devant une église comble!

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