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Imposition des couples mariés

Olivier Klunge
La Nation n° 2218 13 janvier 2023

Pour les couples mariés, le fisc fédéral additionne les revenus des deux conjoints sans appliquer de barème spécifique. Ainsi deux époux gagnant l’un CHF 60 000 et l’autre CHF 40 000 paieront ensemble CHF 1 968 d’impôt fédéral direct. Si ces deux personnes étaient célibataires, la première paierait CHF 724 et la seconde CHF 205, soit moins de la moitié du couple marié.

Pour les impôts cantonal et communal sur le revenu, le fisc vaudois applique le système du splitting. Les revenus du ménage sont additionnés, mais le taux déterminant est divisé par 1,8 pour les couples sans enfant (plus 0,5 par enfant). Dans notre exemple, les célibataires paieraient1 CHF 10 330, respectivement CHF 5 989, alors que le couple marié sera imposé sur CHF 100 000, mais au taux de 55 500, soit un impôt total de CHF 16 719, soit une différence de 2,4%. Si notre couple a deux enfants, il paiera sur ses revenus de CHF 100 000, mais à un taux correspondant au barème pour CHF 35 780 (soit 100 000 divisé par 2,8), soit un impôt de CHF 14 409.

Depuis 1984, le Tribunal fédéral a jugé inconstitutionnelle la discrimination fiscale que subissent les couples mariés pour l’impôt fédéral direct.2 Depuis près de 40 ans, l’imposition des couples mariés est un serpent de mer de la politique fédérale. Une étape marquante en est l’échec serré (50,8%) de l’initiative «pour le couple et la famille» le 28 février 2016 qui demandait une imposition commune non discriminatoire,3 puis l’annulation du vote par la Haute Cour le 10 avril 2019.4 Depuis, tous les partis y vont de leur proposition. Le PLR a déposé une initiative «Pour une imposition individuelle indépendante de l’état civil (initiative pour des impôts équitables)» et Le Centre vient de lancer une initiative «Oui à des impôts fédéraux équitables pour les couples mariés – Pour en finir avec la discrimination du mariage!».

Le Conseil fédéral a ainsi décidé (enfin) de sortir du bois et de mettre en consultation un projet législatif jusqu’en mars prochain.5 Le gouvernement fait le choix de l’imposition individuelle de chaque personne domiciliée en Suisse, quel que soit son état civil. Les conjoints seraient donc imposés, chacun, sur les éléments de revenus qui lui reviennent au sens du droit civil, sans égard aux moyens de l’autre époux. Le Conseil fédéral propose une variante avec un allégement pour les couples dont l’un des membres ne gagne pas ou peu (jusqu’à 14 500 de revenus déterminants déduits de la déclaration de l’autre conjoint, si l’un ne gagne rien).

Imposer individuellement les membres d’une famille est faux, tant d’un point de vue sociétal que fiscal.

 

Famille ou individus?

Une famille n’est pas une somme d’individus vivant côte à côte, mais une communauté au sein de laquelle les membres doivent s’entraider selon leurs capacités dans l’intérêt familial. Ainsi, un parent peut être amené à renoncer à une promotion professionnelle alléchante qui mettrait en péril l’équilibre familial par un déménagement lointain, un autre décidera de diminuer son activité rémunérée pour se consacrer à l’éducation des enfants, ou choisira un emploi mieux rétribué pour leur assurer une meilleure subsistance.

L’article 163 du Code civil consacre la famille comme communauté économique: «Les époux contribuent, chacun selon ses facultés, à l’entretien convenable de la famille.» L’époux dont les revenus ou la fortune excèdent les moyens de l’autre participe en proportion aux besoins du couple et de la famille. Cela signifie, dans notre exemple, que  l’un des conjoints devra contribuer à 60% des charges du couple et l’autre à 40%.

Naturellement, la famille n’est pas uniquement une communauté économique, mais une communauté complète qui touche à tous les aspects de l’existence. Il y a mille autres répartitions selon les facultés entre ses membres: un conjoint s’occupera de la cuisine, l’autre du jardinage, l’un des devoirs de français, l’autre d’histoire, un enfant débarrassera la table, quand l’autre nettoiera la voiture; et lorsqu’un des membres de la famille sera incapable d’accomplir ses tâches, les autres y pourvoiront solidairement.

L’Etat n’a pas à s’immiscer dans les rapports familiaux, sous réserve de cas dysfonctionnels. Sa prétention à taxer séparément les différents membres d’une famille est illégitime.

 

Différence de capacité fiscale

L’article 127, alinéa 2, de la Constitution fédérale, comme l’article 167, alinéa 2, de la Constitution vaudoise, prévoient que les impôts doivent respecter trois principes fondamentaux: l’universalité, l’égalité de traitement et la capacité économique. Ce dernier axiome veut que la charge fiscale soit adaptée aux possibilités financières du contribuable. Ainsi, le contribuable aisé doit payer plus d’impôt que celui qui assure à peine ses moyens d’existence. C’est sur ce principe qu’est fondée la progressivité de l’impôt, comme les déductions fiscales.

Or, deux individus avec un revenu égal n’auront pas les mêmes moyens à libre disposition, si l’un est célibataire et l’autre marié. Dans notre exemple, le conjoint gagnant CHF 60 000 devra, entre autres, payer deux tiers du loyer familial et un cinquième des primes maladie de l’autre conjoint, en plus des siennes. Comme célibataire dans une colocation, il n’aurait payé que la moitié du loyer et ses seules primes. Ainsi, la capacité contributive dans ces deux situations n’étant pas égale, l’impôt ne devrait pas l’être. En conséquence, une imposition individuelle qui ne tiendrait pas compte du statut matrimonial ou du moins des charges d’entretien ne respecterait pas la capacité contributive.

L’imposition individuelle telle qu’elle est proposée par le Conseil fédéral atténue certes la discrimination dans l’imposition des couples mariés, mais ne la résout pas et l’aggrave même pour les couples dont seul un membre a des revenus. Cette solution est donc anticonstitutionnelle et inéquitable.

Notes

1   Impôts cantonal et communal à Lausanne.

2   La république des juges dénoncée par certains milieux politiques a manifestement ses limites lorsqu’elle contrevient aux intérêts fiscaux de la Confédération et des cantons. Cf. notre article dans La Nation, n° 1851 - 05.12.2008.

3   Cf. nos articles dans La Nation, n° 2036 – 26.01.2016 et n° 2046 – 16.06.2016.

4   ATF 145 I 207.

5   Communiqué du DFF du 2 décembre 2022.

Notre réponse à Berne

La consultation fédérale court jusqu’au mois de mars. La Ligue vaudoise y a déjà répondu et préconise l’abandon le plus rapide possible de la réforme. Elle attend des cantons une mobilisation forte pour la défense de leur souveraineté. Nous soutiendrons toute démarche propre à faire obstacle à cette centralisation aussi profonde que coûteuse.

Notre réponse est consultable à l’adresse: www.ligue-vaudoise.ch/actualites/592

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