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Le sexe des mots

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2221 24 février 2023

Chacun sait que la conquête de Constantinople se fit pendant qu’on disputait du sexe des anges. L’actuelle querelle autour du sexe des mots serait-elle le prélude à l’effondrement du français? Notre langue, après avoir été déclarée fasciste jadis par Roland Barthes, est désormais taxée de sexisme par les militants d’un égalitarisme agressif. Leur arme de guerre est le langage dit inclusif, dont le but déclaré est de faire changer les mentalités. Voilà où nous en sommes de notre crépusculaire déchéance.

Ce langage, qui pollue avec ses absurdités jusqu’à l’affichage public («Je suis fièr·e»), est heureusement combattu depuis quelques années par l’Académie française et désormais par les pouvoirs politiques de plusieurs pays francophones. Récemment, la Chancellerie fédérale a interdit ces pratiques dans les documents officiels, les déclarant «illisibles, imprononçables, incompréhensibles en dehors de cercles restreints». Les exemples donnés se passent de commentaires: «étudiantEs, agent·es culturel·les. Femmes*, chef.ffe.x.s».

Les formes masculines et féminines de la grammaire française ne correspondent pas toujours à une identité sexuelle. C’est un joyeux désordre auquel l’usage nous a habitués: quand on désigne une fourmi, une tortue, une panthère, un zèbre, un kangourou, on n’a pas spontanément une représentation sexuée du bestiau. Il en va de même pour les objets: la chaise, le banc, la table, le fauteuil, la cuillère, la fourchette… Les armées, de tout temps composées très majoritairement d’hommes, nomment plusieurs fonctions avec des termes féminins: les recrues, estafettes, ordonnances, sentinelles devraient-elles être masculinisées en recrus, estaffets, ordonnants, sentinels?

Certaines femmes de lettres veulent être écrivaines. Est-ce bien raisonnable? Si je dis: «Alice Rivaz est une des plus grandes écrivaines vaudoises», on aura compris que Ramuz et Mercanton ne font pas partie de l’appréciation. Tandis que si on emploie le masculin générique, qui est neutre, «Alice Rivaz est un des plus grands écrivains vaudois», on étend le champ de comparaison.

Même s’il n’est pas distinct de la forme masculine, le neutre existe en français: dans des expressions comme «il pleut, il faut rentrer», les pronoms ne représentent pas des personnes. «Elle pleut», «elle faut» ne sont pas viables. «On a frappé à la porte», ne précise pas si c’est un homme ou une femme. L’étymologie vient du latin homo qui signifie être humain.

On doit récuser avec détermination le grignotage de notre langue par les cuistres du Wokistan qui en détruisent la beauté avec une obstination de ténias. Etudiant, étudiante sont des mots qui respirent naturellement. Etudiant·e·x·s est un agglomérat chaotique déraciné de l’étymologie et de l’usage commun. Selon le Bureau de l’égalité de l’Université de Genève, l’«X» marque «une rupture avec la binarité de la langue». Rien que ça! Qui peut rester indifférent à ce charcutage exercé par des minorités agissantes qui confisquent la langue au profit de leur idéologie?

Il est surprenant que beaucoup de journalistes, enseignants, écrivains restent assez passifs devant ce sinistre bazar. Ont-ils peur de passer pour conservateurs, réactionnaires, antiféministes, transphobiques? Où sont tous ces intellectuels qui prétendent lutter contre le «politiquement correct», qui adorent «briser les tabous»? Il y a pour eux un joli boulot qui demande juste un peu de talent et de courage.

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