La dérive idéologique de la HEP Vaud
Sa position au sein de l’Administration vaudoise contraint la personne qui nous a proposé cet article à l’anonymat. La nécessité de prendre cette mesure, exceptionnelle dans nos colonnes, illustre l’incapacité des représentants de la fonction publique à faire respecter la liberté de parole des employés de l'Etat. Elle souligne aussi la perte de confiance qui règne entre l’Administration et les fonctionnaires.
(Réd.)
De l’instruction à la rééducation
La Haute école pédagogique du Canton de Vaud a toujours été sensible à la question des inégalités scolaires. Au cours de la dernière décennie, cette préoccupation, légitime sur le fond, s’est radicalisée sous l’influence des critical studies américaines. En novembre dernier, des étudiants «inquiets» de l’école pédagogique ont réagi en rédigeant une lettre ouverte à l’adresse de la direction. Ils dénonçaient, parmi d’autres excès, la tournure biaisée du cours obligatoire «Pédagogie interculturelle et genre» du cursus de Bachelor. La réponse du directeur de la formation dans les colonnes de 24 heures était choquante. Alors que les auteurs se disaient conscients «du bien-fondé d’une sensibilisation aux inégalités» et ouverts à un débat serein, s’ils obtenaient la garantie que leurs opinions ne fussent pas retenues contre eux, M. Petitpierre eut comme seule réaction de les menacer de sanctions en sous-entendant que leur «radicalité» n’était pas compatible avec l’exercice de la profession enseignante.
Au-delà de l’intolérance que manifeste une telle réponse, c’est tout un mode de fonctionnement, orienté davantage sur les questions socio-éducatives que sur l’instruction, qui nous interpelle. En multipliant les organes de surveillance des discriminations (bureaux de l’égalité, postes de délégué aux questions de genres, raciales et autres…), il semble que l’effort principal – ou en tous cas le plus médiatisé – du système scolaire ne soit aujourd’hui plus l’instruction, mais la gestion des problématiques sociétales1. Ainsi, sous prétexte de lutter contre la reproduction de stéréotypes véhiculés inconsciemment par les enseignants – le fameux «curriculum caché» –, les bureaucrates de l’égalité justifient et imposent leurs propres programmes de rééducation. Si une critique se fait alors entendre, elle est systématiquement taxée de «phobie» contre les minorités en question, désamorçant de facto les oppositions.
Concrètement, lorsque Mme Dayer, chargée des questions de genres au DFJC, vient «sensibiliser» à la transidentité sexuelle dans les écoles primaires, c’est en vue de prévenir des effets «délétères» que la représentation binaire homme-femme pourrait avoir sur un nombre infime d’élèves. Faire remarquer que, chez la grande majorité des enfants, cette «sensibilisation» consiste en un éclatement des points de repères fondamentaux pour l’identité que sont les pôles sexuels masculin et féminin, est alors évidemment assimilé à l’expression d’une transphobie latente ou assumée.
Pourquoi si peu d’opposition?
Nous suggérons trois pistes. Premièrement, l’esprit critique ne semble pas faire partie des dispositions les plus présentes sur les bancs des futurs enseignants. A ce titre, le sociologue de l’éducation Romuald Normand faisait en 2006 déjà le constat lapidaire suivant: «La formation professionnelle des enseignants s’apparente à l’entrée dans une secte au sein de laquelle la «divine et universelle vérité» de la recherche scientifique ou le dernier «gourou» des théories de l’apprentissage et du management délivre son «message de salut» à des enseignants désarmés…» Il semble que la situation ne se soit guère améliorée depuis.
Deuxièmement, ainsi que le montre le recours à l’anonymat des «étudiants inquiets», mais aussi des contributeurs au dossier critique de l’école numérique2 ou encore de l’auteur du présent article, il règne, à la HEP Vaud comme dans beaucoup d’établissements scolaires, un climat intellectuel toujours plus intimidant pour qui se montrerait sceptique à l’encontre du progressisme aveugle du département. La routine des amalgames ramenant toute critique à de la haine y participe grandement.
Finalement, étant donné le lien étroit que la HEP Vaud entretient avec les directions d’école, il arrive souvent que les nouveaux directeurs se fassent les relais, conscients ou non, de ce «management du changement» orchestré depuis la Barre ou l’Avenue de Cour. La projection dans différents établissements de capsules vidéo éditées par la HEP est édifiante sur ce point. Le message sous-entendu de celles-ci est généralement grossier: être critique à l’encontre des réformes irréalistes et donc inapplicables du département ne serait que le symptôme d’une incapacité à accepter le changement3.
Et c’est à ce titre que nous manifestons notre inquiétude. Que les sociologues de l’éducation soient empêtrés dans les théories déterministes de Bourdieu depuis les années huitante pose déjà assez de problèmes en termes de pilotage éducatif. Mais que l’institution chargée de former les futurs enseignants rivalise d’ingéniosité pour faire adhérer ces derniers à sa vision fantasmée et idéologique de l’école relève d’un autre degré de gravité. Et ce d’autant plus lorsque la menace succède aux tentatives d’endoctrinement comme le révèle la réaction de M. Petitpierre ou que la critique est réduite à une pathologie de prof réactionnaire. C’est, à bien des égards, des méthodes qui n’ont rien à envier aux régimes soviétiques. Est-ce vraiment là les conditions dans lesquelles nous voulons instruire les nouvelles générations?
Notes:
1 Sur ce point, la HEP Vaud a au moins le mérite de prêcher par l’exemple. Le contribuable sera heureux d’apprendre que les 2,8 millions accordés à la rénovation des toilettes du bâtiment principal de l’école pédagogique ont notamment permis de supprimer tous les urinoirs des toilettes homme afin de les rendre plus inclusives. Premier pas vers l’heureux avènement d’une école enfin débarrassée de l’archaïque séparation binaire des lieux d’aisance.
2 «L’école: vers un enfermement dans le numérique?» (Dossier), paru dans Moins!, journal romand d’écologie politique, n° 51, mars-avril 2021.
3 Mentionnons ici la projection, rapportée par plusieurs enseignants, de la courbe du changement de Kübler Ross afin d’indiquer les étapes, similaires à celles du deuil, que les professionnels auront à traverser pour arriver enfin à une école inclusive et bienveillante. Les enseignants critiques y sont considérés comme des réactionnaires coincés aux premiers stades de ladite courbe.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Pendant ce temps-là à Dorigny – Editorial, Félicien Monnier
- De quoi le féminisme est-il le nom? – Olivier Moos
- Le sexe des mots – Jean-Blaise Rochat
- D’une lutte à l’autre – Olivier Delacrétaz
- La liberté comme non-domination – Benjamin Ansermet
- Les «faiseurs de Suisses» sont toujours là – Jean-François Cavin
- Wok·e: encore un péril jaune – Le Coin du Ronchon