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La liberté comme non-domination

Benjamin Ansermet
La Nation n° 2221 24 février 2023

La définition de la liberté est complexe. L’histoire a connu de grands affrontements sur cette question. L’un d’entre eux, aussi important qu’oublié, opposa le libéralisme naissant et les partisans de ce que l’on nomme aujourd’hui républicanisme. Ce conflit s’étala sur les XVIIe et XVIIIe siècles, aussi bien en Angleterre qu’en France ou dans les futurs Etats-Unis, et se solda par la victoire du libéralisme sur son rival.

Voici en tout cas l’analyse des auteurs contemporains se rattachant au républicanisme. Parmi eux, le professeur de philosophie politique Philip Pettit a particulièrement développé l’analyse de l’opposition entre ces deux définitions de la liberté1. Afin de mieux comprendre le débat et d’enrichir notre réflexion, détaillons les définitions exposées par Pettit.

La première, issue du libéralisme – et de Hobbes avant lui –, est la liberté comme non-interférence. Elle considère que toute interférence intentionnelle effective porte atteinte à la liberté. Une telle interférence est un obstacle qui limite les choix sous notre contrôle (interdiction, dissimulation, hausse des coûts d’une option…).

Prenons l’exemple de l’esclave d’un maître bienveillant qui s’abstient d’interférer dans sa vie. Sa liberté n’est pas considérée comme affectée car il ne subit pas d’interférence effective – la seule prise en compte par cette vision. En passant du privé au public, cela implique que les citoyens ne sont pas plus ou moins libres en fonction de la forme de l’Etat, mais selon le nombre d’interférences qu’il produit dans leur vie.

Autre exemple, celui de la loi. Dans tous les cas, cette dernière porte atteinte à la liberté. Elle ne se justifie alors que si elle protège contre une plus grande interférence (une loi qui empêche le meurtre pour éviter que l’on ne vous tue).

La seconde définition, conceptualisée par Pettit à partir de la tradition républicaine, est celle de la liberté comme non-domination. La domination est une situation où nous pouvons subir, de manière effective ou potentielle, des interférences arbitraires.

Cette fois, dans le cas de l’esclave d’un maître bienveillant, il n’est pas considéré comme libre, car soumis potentiellement à une interférence arbitraire. En effet, il dépend du bon vouloir de son maître, se trouve dans une situation d’incertitude et est poussé à changer son comportement pour la déférence ou la flatterie. Ainsi, il faut prendre en compte la situation et ce qu’elle rend possible, même si cela ne se produit pas dans l’immédiat, y compris pour la forme de l’Etat.

Concernant la loi – ou une autre intervention de l’Etat –, elle n’est pas une atteinte à la liberté puisqu’elle n’est pas une interférence arbitraire. Elle peut même empêcher la domination privée. Certes, la loi diminue l’étendue des choix laissés aux citoyens – étendue, définie en termes de quantité et de diversité, qui est une composante de la liberté –, mais elle ne crée pas de domination et ne détruit pas la liberté. A condition de ne pas être arbitraire.

Pour cela, elle doit répondre, selon Pettit, à deux conditions. D’abord, elle doit viser l’intérêt de ceux qui en sont l’objet. Ensuite, ces derniers doivent avoir des moyens de contrôle et surtout de contestation. L’obligation de payer nos impôts à l’Etat peut répondre à ces conditions. Le détroussement par un bandit, non. Sans l’idée d’arbitraire, nous ne pourrions pas distinguer ces deux interférences.

Pettit nous livre ainsi une analyse approfondie d’une opposition philosophique et historique. Mais plus que cela, il souhaite relancer le débat afin de remettre en cause la victoire de la vision libérale de la liberté.

Notes:

1   Voir la première partie de Philip Pettit, Républicanisme. Une théorie de la liberté et du gouvernement, trad. P. Savidan et J.-F. Spitz, Paris: Gallimard, 2004 [1997], 444 p.

    Voir aussi Jean-Fabien Spitz, «De la liberté comme non-interférence à la liberté comme non-domination», in: J.-F. Spitz, Philip Pettit. Le républicanisme, Paris: Michalon, 2010, pp. 51-85.

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