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Pendant ce temps-là à Dorigny

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2221 24 février 2023

N’en déplaise à Monsieur le Recteur, l’Université de Lausanne est bel et bien devenue une antichambre de l’extrême-gauche1.

Il y a les impulsions données depuis le sommet. Le 12 juillet 2022, la Direction a adopté le Plan d’action de l’Université de Lausanne pour l’égalité, la diversité et l’inclusion (EDI). Une vice-rectrice chargée du dicastère «Egalité, diversité et carrières» a pour mission de le mettre en œuvre. Le Bureau de l’égalité l’appuie dans sa tâche. Le Plan EDI articule quatre principes généraux. Le premier en est l’«intersectionnalité»2. Il présuppose que les politiques de promotion de l’égalité ne doivent favoriser aucun des groupes (ou «minorités») subissant des discriminations. Les femmes ne doivent pas prendre le pas sur les «afro-descendants», ni les transsexuels sur les lesbiennes ou les «personnes en situation de handicap». Cela implique principalement de désigner, avant de la combattre, une seule responsable de leur oppression: la société dite occidentale, blanche, coloniale et patriarcale. Dans ce numéro spécial de La Nation, M. Olivier Delacrétaz montre d’où vient cette idéologie.

Le plan EDI ne propose pas moins de quarante-trois mesures correctrices. Elles concernent tous les aspects de la vie universitaire. La mesure n° 16 consiste à faire que «la question de l’EDI soit toujours abordée avec les candidat.e.s aux postes d’enseignant.e.s». Il s’agirait explicitement de les soumettre à un test de conformité idéologique. L’Université entend écarter, dès l’engagement, toute contestation possible de la part du corps professoral. Dans la fonction publique, une telle mesure est sans doute contraire au droit du travail. Mais la course à l’égalité ne saurait s’embarrasser d’un tel juridisme. Nous avons appris que les directives internes sur l’embauche seraient sous peu amendées en conséquence.

L’Assemblée de la transition, tirée au sort et aux compétences tentaculaires, a déjà fait l’objet de nos critiques3. Elle montre l’obsession écologique de la Direction de l’UNIL, et ses fondements révolutionnaires. Là-aussi, de nombreuses institutions sont mises en œuvre, sous l’égide d’un vice-recteur dévolu au dicastère «Transition écologique et campus». Il peut compter sur l’hyperactif «Centre de compétence en durabilité». On découvre ainsi que les 5,5 hectares de terres arables de Dorigny sont exploités en agriculture biologique par un «collectif». Ou que la laine des moutons du campus est transformée en baskets. Ou que l’UNIL finance l’OUVEMA, l’Observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives. Ses chercheurs ont par exemple consacré beaucoup d’énergie à analyser les «coronapistes», les pistes cyclables installées durant la pandémie.

Un autre niveau est celui de l’enseignement et de la recherche, directement au sein des facultés. Un détour par le descriptif des cours de sciences sociales et politiques (SSP) permet de plonger dans le monde de la déconstruction, de la théorie du genre aux discours décoloniaux. Ces enseignements se prolongent dans d’innombrables travaux de séminaires ou de mémoires dans lesquels des étudiants répètent à l’envi des mantras sociologiques appris par cœur. Ils espèrent ainsi décrocher le prix «Genre – Egalité homme-femme» annuellement délivré par la faculté des SSP.

Nombre d’entre eux n’hésitent pas à approfondir leurs orientations militantes en rédigeant des travaux qui justifieront leur combat. Se développe une continuité entre des enseignements de géoscience ou de SSP et la participation aux grèves climatique ou féministe. En 2019, la Direction avait appelé les enseignants à ne pas sanctionner les participants à la Grève du Climat, voire à déplacer des cours si eux-mêmes souhaitaient s’y joindre.

La Direction n’hésite pas à renvoyer l’ascenseur à ses chercheurs-militants. Elle considère ainsi la désobéissance civile de la climatologue Julia Steinberger comme une forme d’engagement à soutenir, parmi d’autres4.

Le 3 juin 2022, la Faculté de droit, de sciences criminelles et d’administration publique a délivré un doctorat honoris causa à la Professeure américaine Norma Riccucci. Spécialiste de l’application de la théorie critique de la race au sein de l’administration publique, elle soutient que les structures étatiques occidentales sont systémiquement racistes. Elle ouvrait sa conférence en regrettant que les conservateurs américains contestassent son enseignement sur le terrain politique5. Invariablement pourtant, ces champs de recherche aboutissent à la conclusion que la société n’est pas assez égalitaire et qu’elle doit évoluer. Cela s’appelle bien de la politique. Il ne faut pas accepter cette scientifisation du débat.

Leurs propositions finissent dans les programmes des partis socialistes, Verts, ou d’extrême-gauche – rebaptisés pour l’occasion «de gauche-radicale». Et il y a une relation évidente entre ces recherches éco-sociologiques et les mesures officielles de l’Université. Le Service des bâtiments a récemment installé des distributeurs de tampons hygiéniques dans les toilettes des hommes. Il répondait directement à une sollicitation du collectif universitaire de la Grève féministe, tenu par l’extrême-gauche lausannoise6.

La Direction est juge et partie. Son statut d’employeur suffit trop souvent à faire taire les enseignants critiques. Hors du sérail, celui qui ose s’élever contre les dérives de l’UNIL est accusé d’entraver son autonomie, de violer la liberté académique. L’autonomie légale de l’Université ne l’autorise pas à engloutir des millions dans la révolution officielle, ou de contribuer de manière unidirectionnelle au «débat de société». Contribution déjà contestable en elle-même.

Quant à la liberté académique, le temps est plutôt venu de se demander si elle existe réellement à Dorigny. Le wokisme universitaire, comme toute idéologie, progresse à coup de surenchères. Plusieurs étudiants racontent les tensions dans les auditoires, l’intolérance des militants, les appels aux excuses. Les professeurs de bonne foi ne pourront être que démunis: leurs étudiants ne font rien d’autre que de les déborder dans la radicalité.

Des auditoires au bureau du Recteur, l’Université de Lausanne est devenue, aux frais du contribuable, un Etat dans l’Etat.

Notes:

1      «L’UNIL n’est pas l’antichambre des mouvements d’extrême-gauche», interview de Frédéric Herman par Fabio Bonavita, Lausanne Cités, des 1er et 2 février 2023.

2     On relira avec intérêt l’article que Jacques Perrin a consacré à cette notion: «Intersectionnalité», in La Nation n° 2183, du 10 septembre 2021.

3     Monnier Félicien, «UNIL: une loterie pipée d’avance», in La Nation n° 2211, du 7 octobre 2022.

4     «Chercheuse et militante, un engagement légitime», Augustin Fragnière interrogé par Romaric Haddou, 24 heures du 13 octobre 2022.

5     https://www.unil.ch/fdca/Conference-Norma-Riccucci

6     En février 2021, et à en croire un communiqué de presse consacré au harcèlement à l’UNIL, deux de ses chevilles ouvrières étaient Mmes Cynthia Illi, étudiante de géosciences et actuelle coprésidente des jeunes Verts vaudois, et Clara Almeida Lozar, étudiante en sciences politiques et candidate du parti trotskiste SolidaritéS au Conseil communal de Lausanne aux élections de 2021.

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