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UBS ou le syndrome de Nicolas Fouquet

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2225 21 avril 2023

Credit Suisse devait se retrouver en cessation de paiements entre les 20 et 21 mars. L’intervention du Conseil fédéral pour le faire racheter par UBS a évité sa faillite.

Concrètement, cette intervention prend deux formes. D’abord, la Confédération promet à UBS une garantie pour couvrir les pertes qu’elle subira à court terme en raison de la reprise de Credit Suisse et de la liquidation de certains de ses actifs. Ce soutien s’incarne dans un crédit de 9 milliards, qui ne sera peut-être pas consommé, dès lors qu’il s’agit d’une garantie.

S’ajoute une garantie de 100 milliards, offerte par la Confédération à la Banque nationale suisse (BNS). Elle sert à éventuellement rembourser à la BNS les pertes qu’elle pourrait subir sur les prêts de liquidités qu’elle accordera à Credit Suisse pour tenir jusqu’à ce que le rachat soit définitif. Seule une faillite de Credit Suisse, théoriquement encore possible, activera la garantie et engagera l’argent du contribuable.

Le refus du Conseil national

Dès lors que ces crédits urgents, même conditionnels, dépassaient les 500 millions, ils ouvraient la voie à la tenue d’une session extraordinaire des Chambres fédérales. Cette dernière a eu lieu les 11 et 12 avril. Elle a abouti au refus du Conseil national, répété et définitif, d’approuver a posteriori ce crédit total de 109 milliards. Mme Keller-Sutter avait annoncé d’emblée qu’un refus n’aurait aucune portée, au motif que la Délégation des finances des Chambres fédérales avait déjà approuvé les crédits.

Interrogés par le SonntagsBlick, les professeurs de droit public Bernhard Rütsche et Andreas Stöckli ne partagent pas cette opinion1. Nous les rejoignons. La loi fédérale sur les finances de la Confédération, qui régit ce cas de figure, exige l’«approbation ultérieure de l’Assemblée fédérale». Il nous paraît difficile d’être plus clair. Cela ne signifie pas qu’UBS et la BNS n’auront pas droit à leur argent. Les contrats ont été conclus. Le Conseil national devait seulement autoriser le prélèvement de l’argent sur le budget fédéral, pas le principe des garanties. Il est donc possible que le Conseil fédéral ait engagé la responsabilité de la Confédération à hauteur de 109 milliards, mais que le refus des Chambres lui ferme l’accès au coffre-fort.

L’agitation parlementaire

En annonçant que le vote ne serait que symbolique, Mme Keller-Sutter a donné toute liberté au Parlement de torpiller le projet pour des motifs étrangers au projet lui-même. Nous peinons à voir derrière le refus du Conseil national autre chose qu’une réaction électoraliste.

Les Verts – annoncés perdants des prochaines fédérales – veulent se montrer plus sociaux que les socialistes. Le PLR protège son bassin de culture et de financement. Et l’UDC drague le populo en dénonçant, à raison, la dimension déresponsabilisante du too big to fail.

Contrairement à ce que certains ont écrit2, le Conseil national ne s’est pas rebellé contre ce troisième recours de la législature, par le Conseil fédéral, au droit d’urgence. Les parlementaires y recourent plus souvent que le gouvernement, et surtout sur des sujets plus divers: des parcs éoliens à la réexportation d’armes en Ukraine, en passant par la planification de la médecine ambulatoire3.

L’Etat face aux banques

Saluons d’abord l’acte de gouvernement du Conseil fédéral. Pour un chef, une mauvaise décision vaut mieux que l’absence de décision. Mais les dernières semaines ont révélé la force de notre dépendance au système bancaire.

Il y a deux manières de lire la conférence de presse du 19 mars 2023 qui a vu côte à côte le Président de la Confédération, la Cheffe du Département des Finances, le directeur de la BNS et les présidents d’UBS et de Credit Suisse.

On peut voir en Berset et Keller-Sutter les charismatiques chefs du temps de crise. Ils auraient rappelé le système bancaire à ses responsabilités, et contraint UBS au rachat en l’ordonnant à l’irlandais Colm Kelleher alors qu’il fêtait la Saint-Patrick dans un bar de Zurich.

Le mastodonte irresponsable

Une autre lecture est de prendre acte de la puissance acquise par UBS, au point d’en faire le seul acteur suisse à même d’éviter la catastrophe. Dans divers documents, le Conseil fédéral détaille que le rachat était la seule solution satisfaisante4.

La vérité est sans doute entre ces deux lectures: en 2001, lors de la faillite de Swissair, le Conseil fédéral n’avait pas réussi à mettre MM. Ospel et Mühlemann d’accord sur un plan de sauvetage. Mais les enjeux étaient bien moindres que cette fois: la direction d’UBS se devait d’éviter une réaction en chaîne qui l’aurait entraînée à son tour.

Leur responsabilité politique est tout de même difficile à concevoir. Les grands banquiers sont par exemple les vrais responsables de la chute du secret bancaire. En incitant trop activement leurs clients étrangers à frauder leur fisc national, ils fournirent aux USA de la munition dans la guerre économique qu’ils mènent contre la Paradeplatz depuis les années 1990.

Les rémunérations des cadres bancaires sont devenues le symbole de cette irresponsabilité. En 2009, en pleine crise, Brady Dougan, directeur de Credit Suisse, avait perçu 90 millions de francs entre sa rémunération, ses bonus et sa participation aux actions du groupe5. Cette démesure résonne comme la preuve du décalage entre le monde de la banque d’affaires et l’économie réelle.

Qu’est-ce qu’une banque suisse?

Enfin, se pose la question identitaire de savoir ce qu’est une banque suisse. L’engagement récemment pris par UBS l’arrime certes à une place financière et politique nationale. Et la re-nomination à sa tête du tessinois Sergio Ermotti, ancien apprenti en banque, sonne comme un retour aux sources.

Toutefois, sur les douze membres du Conseil d’administration, quatre seulement sont suisses, cinq sont originaires du monde anglo-saxon, deux sont asiatiques, et la dernière est française. La dilution presque totale de son actionnariat réduit enfin ses assemblées générales à de simples «cérémonies rituelles où il ne se passe rien», pour citer Marcel Regamey6.

Recloisonner

Les tissus socio-économiques suisse et vaudois n’auraient pas supporté une faillite de Credit Suisse. Ils supporteront encore moins une faillite d’UBS. Cette dernière est devenue trop grosse, trop dangereuse, trop incontournable.

En son temps, Louis XIV avait fait arrêter son surintendant des finances Nicolas Fouquet, devenu par sa richesse son concurrent direct. Il en va un peu de même avec UBS. Une fois le rachat effectué et stabilisé, il faudra la démanteler, d’une manière ou d’une autre. Christoph Blocher a déjà fait des propositions dans ce sens. La finalité de l’opération devra être de recloisonner autant que possible les dangers que fait courir à notre économie réelle cette banque tentaculaire et globalisée, sans véritable concurrente en Suisse. L’Association suisse des banquiers devrait s’y atteler avant que l’Etat n’intervienne.

Notes:

1   Danny Schlumpf, «L’accord passé entre le Conseil fédéral et l’UBS est sur la sellette», in Blick.ch, 16 avril 2023, https://www.blick.ch/fr/news/suisse/un-flop-juridique-pour-karin-keller-sutter-laccord-passe-entre-le-conseil-federal-et-lubs-est-sur-la-sellette-id18491941.html

2   Florent Quiquerez, «Le parlement attaque la crédibilité du Conseil fédéral», 24 heures du 13 avril 2023.

3   Cette modification de la LaMal, déclarée urgente, est actuellement soumise au référendum facultatif: «Exceptions à l’obligation d’avoir exercé trois ans», FF 2023 795; RO 2023 134.

4   Message du Conseil fédéral concernant le supplément IA au budget 2023, du 29 mars 2023, n°23.007, p. 17s.

5   Patrick Toggweiler, «Voici combien les patrons de Credit suisse ont empoché malgré la chute», Watson du 22 mars 2023. https://www.watson.ch/fr/economie/credit-suisse/793503022-voici-combien-les-patrons-de-credit-suisse-ont-empoche

6   Marcel Regamey, La Propriété de l’entreprise, in CRV n°24, Lausanne 1944, p. 33.

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