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L’étatisme ou la confusion des compétences

Sébastien Mercier
La Nation n° 2229 16 juin 2023

Alphonse Morel, Cahiers de la Renaissance vaudoise 6 et 7 (1928)

Alphonse Morel, l’un des fondateurs de la Ligue vaudoise, s’attaque à l’étatisme, d’autant plus que celui-ci implique presque toujours une centralisation.

La nationalisation, par exemple des chemins de fer, est présentée comme avantageant tout le monde à la place de petites structures privées, mais ce n’est pas vrai. Nation et Etat ne sont pas la même chose, sauf dans une conception socialiste de l’Etat. L’Etat est dirigé par un parti, une pensée, seule la minorité dirigeante pousse à l’étatisme et en obtient les avantages. Perdant son énergie humaine de combativité et de réussite individuelle, il est malheureusement classique et tout naturel qu’alors que le particulier s’enrichit, l’Etat s’endette. La démocratie est contrainte à la dépense par dynamique. En effet, ses employés sont ses électeurs. L’industriel, dans une position difficile, tâchera de perfectionner son organisation, diminuer les coûts, licencier, diminuer le salaire ou tout du moins ne pas l’augmenter, sauf en dernier recours. L’organe étatisé, déjà moins enclin à être rodé dans le bénéfice, nationalise les pertes, créant une dangereuse tendance d’économies douloureuses, d’élévation des tarifs ou d’augmentation de la dette. Prenant la nationalisation des chemins de fer pour exemple, M. Morel y explique que l’Etat protège son pré carré ferroviaire en taxant la route, sans pour autant que l'intérêt de la Nation ne soit toujours évident. Son monopole ferroviaire obtenu, l’Etat peut faire tous les chantages du monde pour protéger son os au nom de «l’intérêt» national. «Nous touchons ici du doigt l’erreur essentielle de l’étatisme. En liant le sort du pouvoir politique à celui d’une entreprise économique, on unit l’intérêt général à un intérêt particulier. Incapable, dès lors, de remplir son rôle d’arbitre impartial, l’Etat sacrifie l’intérêt national à un intérêt privé et l’entreprise d’Etat jouit d’un privilège qui pèse gravement sur l’économie nationale» (p.37).

 

Etatisme social

«Le terme “ social ” est un de ces mots fétiches qu’il suffit de prononcer pour attirer sur soi la bénédiction des dieux et sur ses adversaires la colère divine. Personne n’en connaît le sens, mais chacun en craint la vertu magique. Seuls quelques initiés de Dieu et quelques réactionnaires savent qu’il remplace le mot socialiste, chaque fois qu’il faut faire avaler au bon bourgeois une mesure socialiste» (p.47).

M. Morel décrit également dans ce chapitre la tension existant entre la charité publique (les assurances obligatoires) et la charité communale (à travers la bourgeoisie) ou privée. Le sentiment de culpabilité, propre à n’engendrer aucun faussaire abusant du système, est fort dans le second cas, presque inexistant dans le premier.

Le sixième cahier finit en ces termes musclés: «On a confondu la solidarité matérielle et juridique, et la solidarité morale, les devoirs de l’Etat et ceux qui relèvent de la charité privée, en un mot le temporel et le spirituel: on est tombé dans l’absurdité et l’incohérence. On a édifié des assurances de corruption sociale» (p.67).

Dans le deuxième cahier consacré à l’étatisme, Morel se concentre sur l’impôt et critique la mise en place de l’impôt sur les successions par l’Etat: «Le travail a été fourni par le premier et légitime propriétaire qui n’est plus là pour se plaindre: les morts ne votent pas» (p.10).

Toutes ces aides et ces impôts mènent Alphonse Morel à la perplexité. Il redoute que ces asservissements matériels mènent à un asservissement moral. De plus, engagé dans trop de domaines non-politiques, l’Etat ne connaît plus très bien son rôle, trop d’intérêts divergents le sollicitent. S’il a remplacé les corps autonomes et intermédiaires, il se retrouve seul et nu face à la foule, ce qui le contraint à ployer le genou devant la moindre vindicte populaire.

Il faut dire que la Confédération de 1920 redoublait d’initiatives sociales: impôt fédéral de guerre et droit de timbre avaient été institués, mais pas l’impôt fédéral sur les successions, voulu par le Conseil fédéral, qui ne passa pas la rampe des projets sociaux de 1925, grâce à de nombreuses protestations le concernant.

Dans une deuxième partie consacrée aux confusions du temporel et du spirituel, M. Morel constate que l’Etat, quand il essaie dangereusement de tirer à lui les ministres du culte, s’arrogeant un pouvoir spirituel qui n’a pas à être le sien, court parfois à la catastrophe. Le schisme libriste (cité indirectement à travers les démissions de 1845) en est le plus douloureux exemple. Plus tard, les pasteurs qui n’apprécièrent pas les circulaires officielles à l’occasion du bicentenaire du Major Davel durent bien se garder de partager leur opinion du haut de la chaire, de peur de devoir une fois de plus subir les foudres d’un Etat dont le comportement a pu se montrer totalitaire envers son Eglise.

Dans une troisième partie consacrée au lien unissant l’école et l’Etat, M. Morel reconnaît à l’école étatique sa capacité à avoir chassé l’obscurantisme. Il dénonce en revanche une forte capacité d’endoctrinement dont peut jouir l’école publique si elle se décide à l’employer.

En résumé, la définition de l’étatisme est «la confusion des intérêts privés et de l’intérêt politique», l’étatisme est inéluctable en démocratie puisque la souveraineté du peuple s’y préserve très majoritairement en grossissant l’Etat.

Alphonse Morel dans son dernier chapitre démontre notamment cette suite de pensées: «L’intérêt social domine les intérêts particuliers», «l’intérêt social est l’intérêt national», «l’intérêt national est distinct des intérêts particuliers», «l’intérêt national est l’harmonie des intérêts particuliers».

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