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La subsidiarité à l’épreuve de la guerre. Retour sur l’exercice «LUX 23»

Edouard Hediger
La Nation n° 2229 16 juin 2023

La guerre conventionnelle n’est pas qu’une affaire d’artillerie ou de grandes formations mécanisées. La haute intensité ne fait pas disparaître les actions asymétriques, les problèmes de criminalité, les pillages, ni les violences à l’arrière du front. Bien au contraire, un conflit conventionnel a tendance à exacerber les tensions, qu’elles soient le fait de sympathisants de l’adversaire, ou de criminels opportunistes. Elles ont lieu de manière diffuse sur l’ensemble du territoire, et non pas seulement dans les zones proches des combats. Elles nécessitent un réseau de renseignement dense afin de pouvoir détecter leurs signes précurseurs ou des changements d’état d’esprit dans la population. Elles lient les forces de l’ordre qui, en plus de leurs tâches habituelles, doivent couvrir les territoires pour rassurer la population et dissuader des acteurs de commettre ces violences.

Les polices cantonales et leurs 20 000 agents doivent pouvoir être appuyés par l’armée afin d’assurer leur capacité à durer. Avec une armée réduite à 100 000 hommes, impossible pourtant de mettre des troupes partout ou de dégarnir les formations de combat aux dépens du front ou des préparatifs d’une opération de défense.

L’exercice «LUX 23» qui s’est déroulé du 1er au 9 mai dernier a justement entraîné la division territoriale 1 dans le cadre d’un engagement subsidiaire de sûreté et de préparatifs d’une opération de défense. L’exercice a rassemblé sept corps de troupes et vingt-six partenaires tant civils que militaires dans un secteur allant de Genève à Wangen an der Aare. Il s’agissait d’exercer une large palette de tâches, en dessous du seuil de la guerre, dans la phase charnière précédant un conflit conventionnel de haute intensité contre un pays voisin. La division a assuré la protection d’infrastructures critiques tels que l’aéroport de Genève et la raffinerie de Cressier, en collaboration avec les polices cantonales. Elle a également mis à disposition de l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières des moyens substantiels pour le contrôle des points de passages frontaliers.

La division a surtout testé un nouveau type de forces légères. Celles-ci doivent à l’avenir pouvoir densifier le réseau de renseignement dans les zones dites secondaires, c’est-à-dire à l’arrière du front où un adversaire pourrait exploiter l’absence de troupes ou les faiblesses de la police. Ces forces légères doivent devenir un élément important de l’interface entre armée et forces de l’ordre. Elles doivent pouvoir être mobilisées rapidement, proches de chez elles, et décharger des tâches de surveillances les formations lourdes de l’armée pour que celles-ci puissent se concentrer sur leurs missions de combat. En montrant la présence de l’armée aux côtés de la population et en rassurant l’arrière, les forces légères influencent également les perceptions et jouent un rôle important dans l’espace de l’information. La maîtrise de cet espace est aujourd’hui de plus en plus décisive pour accompagner et renforcer les actions des forces armées, ainsi que les forces morales de la population.

«LUX 23» a mis en lumière l’importance de l’intégration des partenaires du «Réseau national de sécurité» aux planifications de l’armée, afin de garantir une approche d’ensemble coordonnée. Durant l’exercice, de grandes disparités dans la compréhension des procédés d’engagement de l’armée au sein des corps de police ont été constatées. De ces disparités découlent des approches fondamentalement différentes des règles d’engagement et des règles de comportement de la troupe (ROE/ROB). L’appui simultané de plusieurs cantons et offices fédéraux a donc imposé de trouver des solutions adaptées et sur mesure pour chaque partenaire.

Collaborer avec les autorités civiles dans un cadre subsidiaire, l’armée sait déjà le faire, par exemple pour la protection de conférences internationales. C’était même son occupation principale depuis la fin de la Guerre froide. Le retour de la capacité de défense, conséquence de la situation sécuritaire en Europe, l’oblige néanmoins à réfléchir à la manière de le faire à large échelle et de définir les responsabilités dans le cadre des relations de subsidiarité changeantes propres à une situation extraordinaire où la Confédération reprendrait certaines tâches normalement dévolues aux cantons. A l’approche d’une guerre et pendant celle-ci, le fédéralisme et le principe de subsidiarité ne disparaîtront néanmoins pas. Les cantons assureront toujours une part importante de leurs responsabilités régaliennes, en particulier dans les zones d’effort secondaire. Il ne sera pas possible d’imposer partout le même régime depuis Berne.

«LUX 23» a pu constater la difficulté de coordonner l’action militaire au profit de multiples partenaires aux sensibilités différentes. Une vraie capacité de défense passe donc aussi par un entraînement de toutes les collaborations qui fluidifient le travail des partenaires de l’armée et permettent aux formations militaires de faire leurs préparatifs au combat dans les meilleures conditions. Une collaboration efficace est donc gage de dissuasion.

Tout le monde parle d’interarmes, et c’est une bonne chose, mais le développement de la collaboration doit s’étendre au-delà du cadre purement militaire et intégrer l’ensemble des partenaires sécuritaires. Dans ce contexte, l’ancrage régional de l’armée, renforcé depuis le DEVA (Développement de l’armée) et assuré par les divisions territoriales, est un facteur de succès. Les états-majors cantonaux de liaison territoriaux joueront un rôle toujours plus grand en tant que plateforme d’échange d’information entre armée et forces de l’ordre.

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