Transparence: illusions et désillusions
Les élections fédérales du mois d’octobre ont constitué la première occasion de tester les nouvelles règles de transparence du financement de la vie politique.
Pendant des années, des commentateurs sentencieux ont accusé la politique suisse de manquer de transparence. On savait fort bien quels partis avaient de l’argent et lesquels n’en avaient pas, et on pouvait évaluer les moyens engagés à travers les campagnes de publicité ou d’affichage, mais on n’avait pas de chiffres précis et surtout la Suisse ne faisait pas comme les autres pays, ce qui était très choquant aux yeux des commentateurs sentencieux.
Le monde politique a donc fini par élaborer des règles obligeant les partis politiques, les candidats aux élections et les comités de campagne à déclarer les montants qu’ils consacrent à chaque campagne politique, la provenance de leur argent et la liste exacte des dons importants (plus de 15’000 francs) qu’ils reçoivent.
Les sceptiques ont fait valoir qu’on allait créer une nouvelle machine administrative pour apprendre ce que l’on savait déjà; que la possibilité d’obtenir des chiffres exacts n’est qu’une vue de l’esprit, tant une campagne de votation est faite d’une multitude d’engagements humains plus ou moins identifiables et difficilement chiffrables; et aussi que le contrôle des chiffres annoncés ne pourrait être que superficiel et que ceux qui veulent tricher trouveront facilement des failles à exploiter. Ces objections, somme toute défendables, n’ont reçu pour toute réponse qu’un verdict inquisiteur et intellectuellement indigent: «Pourquoi êtes-vous contre la transparence?»
Les nouvelles règles de transparence sont finalement entrées en vigueur cet automne. Des journalistes se sont avidement penchés sur les premiers chiffres disponibles, pour constater «sans surprise» que les partis connus comme les plus riches avaient dépensé davantage que les autres et que les dépenses politiques ont été tendanciellement plus élevées dans les régions les plus riches de Suisse. Et de conclure: «Aussi intéressants que soient ces chiffres, ils ne représentent qu’une vérité partielle. Car les nouvelles règles sur la transparence financière en politique présentent plusieurs lacunes gênantes.»
Ces lacunes que la presse découvre aujourd’hui se trouvent être celles que les sceptiques avaient initialement pointées du doigt: il est possible de passer sous les radars législatifs en créant plusieurs petits comités plutôt qu’un grand; un don important à un parti politique (1 million de francs en faveur des Verts) peut ne pas apparaître s’il est divisé en une multitude de petits dons répartis sur les différentes sections du parti; enfin et surtout, des événements non officiellement liés aux élections (par exemple une manifestation syndicale) peuvent néanmoins constituer des facteurs d’influence importants tout en n’apparaissant pas dans la comptabilité des partis.
Sans doute ne serait-il pas très élégant de s’exclamer: «On vous l’avait bien dit!» D’autant plus que, si l’on y réfléchit, l’exercice visait surtout à ce que la Suisse fasse comme les autres, indépendamment de tout souci d’efficacité. De ce point de vue au moins, l’exercice est réussi.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Les partis et notre cambouis – Editorial, Félicien Monnier
- Maman bureautique – Jacques Perrin
- Une célébration du monde ouvrier – Jean-François Cavin
- Les sociétés d’étudiants suisses à l’honneur – Lionel Hort
- Pépites chorales – Frédéric Monnier
- Cher Alain… – Olivier Delacrétaz
- La biodiversité victime de l’écologie – Olivier Klunge
- Les enfants du major Davel – Jean-François Cavin
- L’occidentalisation ne résout rien – Jacques Perrin
- Occident express 117 – David Laufer
- Entre un monde où tout va trop mal et un autre où tout va trop bien – Le Coin du Ronchon