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Occident express 117

David Laufer
La Nation n° 2241 1er décembre 2023

Il y a quelques jours, dans la petite ville de Zvornik sur les bords de la Drina, le patriarche de l’Eglise orthodoxe serbe Porphyre a affirmé que «là où il n’y a pas de foi orthodoxe, ceux qui se disent Serbes ne le sont pas au sens véritable». On doit reconnaître à cette Eglise le maintien de la foi, de la langue et de la culture serbes à travers huit siècles, dont pas loin de six sans Etat et sans indépendance. Pourtant les Serbes aujourd’hui ont un Etat, des frontières, des lois, un gouvernement, bref, une souveraineté, qui devrait imposer la définition d’une identité nationale distincte de la seule variable religieuse. Rien n’y fait, et les propos du patriarche, non seulement ne sont pas contestés par le gouvernement, mais sont reçus par la population dans son ensemble comme une banale évidence: être serbe, c’est être orthodoxe. Cette confusion n’apparaît qu’aux yeux de l’observateur étranger. Pour tous mes amis, la question ne se pose même pas et tous acceptent sans ciller qu’il n’est pas possible de se déclarer serbe sans être orthodoxe, et qu’un serbe catholique est automatiquement croate, comme un musulman est bosniaque. Là où le patriarche se distingue, c’est dans son insistance à affirmer qu’il ne suffit pas de se dire orthodoxe, il faut le prouver. Face à la désertion des églises, son angoisse est palpable et compréhensible. Comme partout ailleurs, de moins en moins de gens se rendent à la liturgie en Serbie, et parmi eux une portion dominante de femmes. Les effets combinés du communisme puis du capitalisme sont dévastateurs. Alors ne reste que la foi d’héritage, celle qui fait pendouiller des petites icônes au rétroviseur ou qui insiste pour se marier à l’église. Pour le reste, on n’y pense plus. La foi s’est retirée et aucun ressac n’est à espérer pour le sévère patriarche, qui admoneste en vain son troupeau. Le poids des siècles offre encore un peu de légitimité à ces confusions très ottomanes entre foi et citoyenneté. Mais le futur est déjà écrit et on s’y rend sans enthousiasme, sans hésitation non plus. Seule la question du Kosovo, c’est-à-dire d’un territoire sacré, vient périodiquement redonner du lustre à la cause religieuse, retardant toujours un peu plus une nécessaire reconnaissance mutuelle. Il apparaît ainsi qu’être serbe est aussi tragiquement mal défini qu’être juif. Est-ce une question de foi, de territoire ou de sang, la religion est-elle la seule base de la citoyenneté – les mêmes dilemmes déchirent des sociétés très diverses, unies par un héritage ottoman, lui-même héritier de conceptions byzantines. Dans les deux cas, le retrait, affirmé en Israël, sous-entendu en Serbie, du fait religieux met à nu des réalités nouvelles, qui nécessitent une rupture trop douloureuse et par conséquent sanglante avec des siècles, ou des millénaires, de tradition. Ainsi, à Belgrade comme à Jérusalem, l’absence de projet politique est béante. Des décennies et des rivières de sang plus tard, on ignore encore s’il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, ou à César ce qui est à César.

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