Les partis et notre cambouis
Occasionnellement, le ponte d’un parti adresse à la Ligue vaudoise le double reproche de ne pas «mettre les mains dans le cambouis», tout en distrayant de jeunes et brillants esprits de la carrière parlementaire. Dans les années 1940, le parti radical tenta d’interdire à sa jeunesse de fréquenter le «gourou» Regamey. M. Delamuraz, dans une saillie qui nous fait encore rire aujourd’hui, nous accusa de «faire du byzantinisme en circuit fermé». Quant à la distraction des forces juvéniles, n’exagérons rien: l’économie, la finance et le barreau demeurent les principaux concurrents des partis bourgeois. Les reproches actuels n’ont donc pas changé, le panache en moins.
Depuis ses débuts, la Ligue vaudoise ne participe pas au jeu électoral et refuse de donner, même par sous-entendus, des consignes de vote aux élections. Ses membres les plus engagés n’appartiennent à aucun parti. Elle n’est pas organisée de manière démocratique. Nos positions politiques sur l’actualité ne sont pas arrêtées par le vote d’un congrès traversé de menées. De ce point de vue, nous n’appartenons pas au régime.
Depuis ses débuts pourtant, la Ligue vaudoise travaille avec des personnes issues des partis. Elle recourt aux outils de la démocratie directe, formule des recommandations de vote et mène des campagnes de votations. Au gré des combats, les coopérations se transforment en amicaux souvenirs de lutte. Beaucoup réagissent à nos articles, voire nous glissent des tuyaux. Nous acceptons réciproquement nos invitations à parler les uns devant les autres. La Ligue vaudoise suit attentivement les travaux du Grand Conseil et des Chambres fédérales. Elle soutient publiquement les interventions des députés qui lui en paraissent dignes.
Marcel Regamey, dans un article d’avril 1953, avait montré combien était fructueux ce paradoxe consistant à être dans le régime, sans être «du régime»1. La formule «original, non marginal» lui était chère pour qualifier notre place dans le paysage politique vaudois. Cela demeure valable aujourd’hui.
Mais c’est vrai. Les membres de la Ligue vaudoise ne siègent pas à la Commission des finances du Grand Conseil et ne proposent pas des amendements sur les projets de loi du Conseil d’Etat. Ils ne considèrent pas que la politique se fasse par des check-lists dont chaque débat est l’occasion de théâtralement cocher les cases, ou qu’elle se limite à discuter sans fin du financement d’une garderie dans le quartier Sous-gare.
Les rédacteurs en chef de La Nation sont intraitables pour censurer les facilités de langage qui caractérisent les modes politique et journalistique vaudoises. Ces colonnes ne vous parleront pas de «défis à relever», de «débats relancés» ou de «tabous brisés». Nous n’appellerons jamais nos adversaires au bon sens budgétaire en parlant, sur un ton définitif, de «ç’Canton».
Aucune de ces préventions ne relève du snobisme. Les raisons pour lesquelles une garderie devrait être financée Sous-gare nous intéressent, tout comme nous inquiètent les coûts des délires idéologiques de la gauche. Nous avons toutefois décidé d’inscrire notre action sur un autre plan, qui n’est pas strictement quotidien, ou attaché à la durée d’une législature. Ce plan est prioritairement celui de la longue durée et des principes. Notre manière de le vivre a pour force de ne jamais exclure le souci de la politique quotidienne. Pour autant que ce soit encore nécessaire, les Entretiens du mercredi, les rencontres que nous organisons, les cahiers que nous publions (achetez Neutre – La Suisse à l’ère de la guerre hybride), nos campagnes comme les sujets abordés dans ces colonnes, le démontrent. Voici ce qui nous distingue aussi de certains mouvements, notamment français, pourtant proches de notre propre tradition politique. Combattre efficacement un projet de loi exige de connaître ses méandres et son histoire, pas de se contenter d’affirmations incantatoires sur la corruption ou l’aveuglement des élites.
Sortant de son premier Camp de Valeyres, le jeune membre de la Ligue vaudoise se fait offrir ce double épanouissement qui est d’agir sur les choses par l’action concrète, tout en incorporant la vision d’un Canton vivant, riche de son passé et de sa culture. Il acquiert la conviction que ses actes comme son engagement politique dépassent sa seule personne pour rejaillir sur la communauté entière. Il intègre que l’autonomie fiscale des communes vaudoises est aussi importante que la lutte contre le wokisme universitaire ou pour la rénovation de la Cathédrale.
Notes:
1 Marcel Regamey, «Une milice et un ordre», in Cahiers de la renaissance vaudoise 34-34, Lausanne 1953, p. 127s.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Transparence: illusions et désillusions – Pierre-Gabriel Bieri
- Maman bureautique – Jacques Perrin
- Une célébration du monde ouvrier – Jean-François Cavin
- Les sociétés d’étudiants suisses à l’honneur – Lionel Hort
- Pépites chorales – Frédéric Monnier
- Cher Alain… – Olivier Delacrétaz
- La biodiversité victime de l’écologie – Olivier Klunge
- Les enfants du major Davel – Jean-François Cavin
- L’occidentalisation ne résout rien – Jacques Perrin
- Occident express 117 – David Laufer
- Entre un monde où tout va trop mal et un autre où tout va trop bien – Le Coin du Ronchon