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L’«Etat fort»

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2243 29 décembre 2023

Le 3 décembre dernier, dans son émission A voix haute, Mme Manuela Salvi recevait Mme Sophie Swaton, philosophe et économiste. Pour Mme Swaton, les scientifiques ont montré sans contestation possible que le climat mondial ne cesse de se dégrader et que cela continuera jusqu’à la mort de la planète si le pouvoir politique ne fait pas du combat climatique une priorité absolue. Et pour cela, il nous faut un «Etat fort».

L’«Etat fort» gouverne dans l’urgence. Il promulgue les lois nécessaires en temps réel, passant outre s’il le faut aux procédures de consultation. On n’a plus le temps d’attendre les avis des cantons et des associations concernées, ni les résultats incertains des débats parlementaires, encore moins les reports interminables du référendum.

L’«Etat fort» applique ses lois directement et immédiatement, introduit des critères climatiques dans toute nouvelle disposition légale, quel que soit son objet. Il veille à ce que toute activité publique ou privée soit climato-compatible.

Nous exagérons? C’est exactement dans cette perspective «forte» qu’a été conçue la loi sur l’énergie, le Mantelerlass, contre lequel un référendum est en cours1. Encore s’agit-il d’une version adoucie. La première version prévoyait un Etat fédéral encore plus «fort» et, par conséquent, des atteintes encore plus brutales au fédéralisme, à l’autonomie des communes et aux droits des particuliers.

L’«Etat fort» doit l’être suffisamment pour réorganiser et contrôler les processus industriels et agricoles, l’orientation de la recherche, la production et la consommation dans les domaines de l’énergie, des transports, de la santé et de l’alimentation. Il lui appartiendra aussi de recadrer les libertés d’information et d’expression. Mme Swaton le dit sans ambages: «C’est quand même aberrant qu’on laisse encore la parole à des climato-sceptiques.»

Pour Mme Swaton, il n’y a pas deux camps en présence, mais un seul, celui des constats scientifiques, qui est celui de la vérité. A côté, il n’y a qu’un grouillement chaotique d’ignorance et de préjugés. Cette vision des choses n’est pas dépourvue d’arrogance.

Admettons que les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fournissent des chiffres justes. Cela ne leur donne pas le droit de ranger dans le camp des climato-sceptiques ceux qui veulent débattre de l’importance du rôle de l’homme dans cette évolution. Ce débat a d’ailleurs lieu dans les rangs mêmes du Groupe d’experts.

De même, exprimer son scepticisme au sujet de visions scientifico-politiques simplistes et unilatérales ne fait pas de vous un climato-sceptique, mais simplement une personne de bon sens. Pensons à la «Stratégie énergétique 2050», acceptée par le souverain en 2017. Elle se présentait comme un plan scientifique où tout avait été définitivement calculé et prévu. Elle est aujourd’hui complètement dépassée, fausse dans sa perspective générale (sortir du nucléaire) et caduque dans les détails. Elle n’a pas résisté aux bouleversements politiques, économiques, énergétiques et techniques de ces trois dernières années, alors qu’elle était censée mettre l’avenir en bouteille pour plus de trente ans.

Une chose est certaine: si les institutions de contrôle populaire devaient être supprimées, elles le seraient pour tout le monde. Mme Swaton, comme tous ceux qui proclament la nécessité d’un «Etat fort», part naïvement du principe que cet Etat sera à son service. Et s’il était au service de ses adversaires libéraux et conservateurs? Et si l’électeur suisse donnait une «forte» majorité à un parti climato-sceptique? Les élus de ce parti, libérés du contre-pouvoir de la démocratie directe et des voies ordinaires de recours, auraient alors les coudées franches pour imposer leur idéologie sans trop se soucier du climat.

Notes:

1      Voir l’édito de La Nation du 17 novembre dernier. Le délai référendaire court jusqu’au 18 janvier. On peut trouver des listes sur le site de la Ligue vaudoise. Signez et faites signer le référendum contre le Mantelerlass!

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