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Marius Borgeaud

Colin Schmutz
La Nation n° 2255 14 juin 2024

M. Yves Guignard, historien de l’art, agrémentait cette année la collection Presto, de chez Infolio, d’un opuscule consacré au peintre Marius Borgeaud. Cette synthèse de soixante-quatre pages insiste sur le contraste saisissant entre, d’une part, la vie de débauché d’un jeune rentier prodigue, et d’autre part, la franche sobriété de son œuvre dans laquelle les commentateurs ont décelé «une sorte de parti pris de pauvreté». Ce décalage n’a rien de paradoxal. Il relève, au contraire, de la juste et noble réaction artistique à un premier égarement existentiel. C’est pourquoi la première partie du livre de M. Guignard s’intitule «Sauvé par la peinture».

Marius Borgeaud naît en 1861 à Lausanne dans une famille de notables. A l’âge de vingt-huit ans, il hérite de son père, abandonne tout projet professionnel et dilapide son bien à Paris. Il y mène le train de vie que l’on peut imaginer pour un jeune dandy fortuné de la Belle Epoque, rythmé par les excès et les voluptés.

Épuisé par les vanités de ce monde, il devra rentrer en Suisse pour se soigner. Il est placé sous tutelle dès 1897. L’enfant prodigue se reprend en main, il retourne à Paris, mais cette fois pour apprendre un métier, celui de peintre.

Borgeaud étudie à l’Académie Cormon à Montmartre et commence sa carrière vers l’âge de quarante ans. Il baigne initialement dans un milieu néo-impressionniste. A l’instar de ses collègues, il part régulièrement en Bretagne pour peindre des paysages, mais un beau matin, au lieu de sortir voir la nature, Borgeaud décide de rester dans l’auberge où il séjourne. Il se mettra alors à peindre ces intérieurs campagnards et modestes qui feront sa réputation. Il développe un style brut qu’on ne saurait qualifier de réaliste, nous avertit M. Guignard, car il «simplifie et abstrait une grande partie du réel». On ne distingue pas les détails des mains et des visages. De même, Borgeaud ne se soumet pas à la stricte réalité logique des ombres, de la gravité ou de la perspective qu’il remanie à sa façon.

A défaut d’être réaliste, sa peinture est «populaire», tant par le thème que par le style. Peut-il être classé parmi les peintres naïfs, lui qu’on a comparé au Douanier Rousseau? A ce titre, M. Guignard rappelle que l’appartenance au courant de l’art naïf ne relève pas seulement de considérations esthétiques, mais qu’elle suppose aussi un rapport naïf du peintre à sa peinture. On y range des artistes populaires et autodidactes qui ont souvent exercé leur art à côté d’un premier métier. Si Borgeaud répond indubitablement aux critères esthétiques de l’art naïf, il en est de fait exclu par sa biographie.

Borgeaud a vécu l’essentiel de sa vie hors de son pays, il a surtout peint des paysages et des intérieurs bretons. Pourtant, M. Guignard nous montre «qu’il a de quoi plaire aux tempéraments protestants du canton de Vaud», lui qui pèche, chute, puis se repent en mettant en scène la vie «modeste, fruste et simple» des gens de la campagne; comme si après avoir tout fait pour fuir sa patrie, il était malgré tout rattrapé par ses racines.

 

Référence: Yves GUIGNARD, Borgeaud, une Bretagne intérieure, Infolio Presto, 2024, 64 p., fr. 12.–.

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