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UNIL: interroger l'autonomie

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2255 14 juin 2024

Deux semaines durant, des militants pro-palestiniens ont occupé le bâtiment Géopolis de l’Université de Lausanne. Ils ont évacué les lieux après la conclusion d’un accord avec la Direction.

Julia Steinberger, climatologue engagée, s’était jointe aux militants. Elle a déclaré au Blick: «En négociant nous sommes arrivés à une conclusion favorable»1. On ne peut plus clairement exprimer que la Direction a capitulé.

Cet accord prévoit notamment la création d’une «cellule d’experts» chargée d’évaluer les collaborations de l’UNIL avec des instituts scientifiques de pays en guerre. Si c’est une réponse très vaudoise que de créer une commission pour régler un prétendu problème, c’est surtout oublier que l’UNIL compte déjà de nombreuses instances à la légitimité douteuse, entre son assemblée de la transition, tirée au sort, et l’advisory board chargé de conseiller la direction et composé de «personnalités inspirantes».

Après la fin de l’occupation, 24 heures a demandé au recteur Frédéric Herman s’il avait subi des pressions directes du politique. Monsieur Herman a répondu par la négative et a déclaré sa satisfaction que l’autonomie de l’Université ait été respectée. La négociation avec les occupants de Géopolis, dont beaucoup venaient d’ailleurs, reposait donc sur l’autonomie légale de l’Université.

L’autonomie de l’Université, avec la liberté académique des enseignants, est souvent servie comme réponse aux critiques que d’aucuns, journalistes ou politiques, peuvent émettre sur ce qui se passe à Dorigny. Tout le monde s’accorde pour dire que cette autonomie ne justifie pas tout. Mais peu savent quelles limites lui donner réellement.

Le Grand Conseil n’a toujours pas fini de plancher sur le Plan stratégique 2022-2027 de l’UNIL. S’il devrait encore susciter quelques interventions, les députés ne semblent pas partis pour y apporter de substantielles modifications. Il risque bien de rester un mélange de technocratisme égalitaire, de profession de foi pour la transition énergétique, de jérémiades sur la fin des programmes européens, et de calendrier des constructions censées absorber les cohortes annuelles de nouveaux étudiants.

La Direction y affiche toutefois une tendance à vouloir changer la nature même de l’institution. Or on ne peut pas distinguer la nature d’une institution, voire d’une communauté comme l’UNIL, des missions qu’elle poursuit, des objectifs qu’elle atteindra et donc des effets qu’elle produira dans le Canton. Si je suis différent, j’agirai différemment.

Parmi de nombreuses mesures, la Direction veut «faire du campus de l’Université un laboratoire vivant de la transition écologique» et jouer ainsi «un rôle citoyen déterminant»2. Mais cet activisme officiel va encore plus loin, et revendique de s’étendre au «sociétal».

A ainsi vu le jour le Centre de compétence en durabilité, dépendant directement d’un vice-recteur. Il axe son engagement autour de la théorie dite du «Donut», conçue comme un «outil pour une transition écologique et sociale», englobant tous les domaines de la vie quotidienne, du logement à la santé, en passant par l’égalité des genres, la participation politique et la qualité des sols. Le langage inclusif, le tirage au sort comme mode de désignation des responsables politiques et la réduction de la consommation d’énergie de l’UNIL relèvent du même combat.

Cette lente inflexion est inquiétante. Elle désaxe l’autonomie accordée à l’institution de ses finalités – l’enseignement et la recherche – pour en faire le cheval de bataille d’une idéologie. Du même coup, forte de son territoire qu’est le campus, de sa population qu’est la «communauté universitaire» et des institutions qui l’encadrent, l’UNIL, en se dotant d’une manière de doctrine politique, acquiert une autonomie unique dans le Canton, et peut-être même en Suisse.

On peut longtemps ergoter sur l’orientation politique supposée du corps professoral. Une récente enquête du Temps a révélé l’emprise et l’intimidation que des enseignants engagés pouvaient exercer sur leurs collègues3. Mais avec l’autonomisation, pour partie dirigée vers l’extérieur, des services centraux que promeut la Direction de l’UNIL, la promotion des théories éco-sociétales, longtemps cantonnées aux vaporeux débats de la cafétéria autogérée, devient une véritable politique publique. Avec tout ce que cela comporte de dispendieux pour le contribuable.

Ces dérives sont-elles seulement illégales? On se réjouirait de clamer que la Direction viole la loi sur l’Université (LUL). La dernière et très interprétable mission que la LUL confie à l’Université est cependant «d’exercer une fonction de service en faveur de la collectivité et de stimuler le débat de société». Vingt ans après son adoption, admettons que cet objectif a tenu du vœu pieux libéral. Le service à la collectivité a pris le visage arrogant du militant-chercheur omniscient. Et le débat n’est stimulé que dans un sens.

Notes:

1   Léo Michoud, «A l’UNIL, le bâtiment Géopolis se vide de ses occupants pro-palestiniens», Blick.ch, mai 2024, publié à 21h40».

2   Plan d’intentions de l’Université de Lausanne 2021-2026, p. 8.

3   Laure Lugon-Zugravu, «Universités romandes, fabriques de militants de gauche», Le Temps du 1er juin 2024.

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