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Changer le nom des places et des rues à Lausanne?

Yves Gerhard
La Nation n° 2255 14 juin 2024

Depuis 2022, la Municipalité de Lausanne a décidé d’attribuer à certaines rues et places des noms de personnalités féminines. Le choix se fonde sur l’ouvrage 100 femmes qui ont fait Lausanne (Ed. Antipodes). Nous n’avons aucune prévention à cet égard dans la mesure où les lieux baptisés n’avaient pas de nom ou ont été créés récemment: ainsi le parc Anne-Fontaine, aux Fiches Nord, ou la passerelle Lucy-Dutoit pour la passerelle du Flon, par exemple. La question devient plus délicate pour une place connue de tous depuis longtemps, comme la place Centrale, devenue en 2023 place des Pionnières: ce nom fleure bon les mouvements de jeunesse imités du scoutisme dans les pays communistes, avec leur foulard rouge et leurs palais:????????.

Actuellement la Municipalité met en consultation le changement de noms de sept places, promenades ou rues de la ville. Nous mettons notre veto au moins à deux d’entre elles. La rue du Vallon deviendrait la rue Sera-Biasini, du nom de la tenancière d’une pension dans cette rue, durant 34 ans. Nous voulons bien admettre que Mme Biasini, dont le nom ne dira rien à personne, ait tenu sa pension durant toute sa carrière à cet endroit. Mais combien de personnes, masculines ou féminines, ou de couples, ont tenu des pensions, hôtels, magasins, écoles privées durant plus longtemps encore, et parfois sur plusieurs générations, comme l’Institut Brillantmont à l’avenue Charles-Secrétan, fondé en 1882 et toujours propriété de la même famille! La rue du Vallon (dont l’une des maisons historiques a très malheureusement été démolie récemment) forme un ensemble locatif cohérent, bâti dans les années 1870; densément habitée, cette rue mérite de garder le nom qu’elle porte depuis 1895.

L’autre modification est plus grave encore: la place du Grand-Saint-Jean deviendrait la place Charlotte-Olivier-von-Mayer (sic). On veut bien que, parmi les femmes médecins de Lausanne, Charlotte Olivier soit une personnalité exceptionnelle qui, avec son mari Eugène, s’est battue contre la tuberculose dans un esprit de sacrifice remarquable. Elle et lui ont leur notice dans le Dictionnaire historique de la Suisse et sa vie a été étudiée par Geneviève Heller, puis par David Auberson et Nicolas Gex de façon approfondie. Néanmoins, le quartier de Saint-Jean existe à Lausanne par la présence du premier hôpital de la ville, attesté depuis 1127! «On peut supposer, écrit Louis Polla, que déjà bien avant, l’évêque de Lausanne ou le chapitre avait aménagé à l’intention des marchands, des voyageurs fatigués, des malades et des indigents, un refuge et un modeste oratoire.» La place du Grand-Saint-Jean elle-même, fait remarquable, a été créée par les Bernois entre 1787 et 1789, à la suite de la démolition de quelques bâtiments: il s’agissait de fournir un endroit servant «de dépôt aux chars et aux chevaux des paysans aux jours de foire», donc un usage pratique à l’origine. Mais plus tard, elle fut utilisée lors des banquets publics à l’occasion des 600 ans de la Confédération, en 1891, ou de l’ouverture du tunnel du Simplon. Elle reste un lieu de passage, surtout depuis la création de la rue Pichard en 1912, et de convivialité aujourd’hui encore.

Autre aspect: les nombreux magasins, sociétés immobilières, thérapeutes et entreprises diverses dont le siège et l’activité se trouvent à la place du Grand-Saint-Jean. Tous doivent changer leur papier à en-tête, leur site internet, leur inscription dans les registres de toute sorte. Le bon de Fr. 50.- à faire valoir dans les commerces locaux paraît bien dérisoire face aux inconvénients causés par ce changement de nom! Sans compter la perte de prestige d’une adresse au centre-ville, dans un quartier qui date du Moyen Age. Mentionnons quand même en passant que la place du Grand-Saint-Jean est aussi le siège de ce journal et de la Ligue vaudoise! Petit clin d’œil: au début, notre mouvement avait ses locaux à la rue Jenny-Enning (née Cavin), généreuse philanthrope dont l’héritage a permis de construire trois écoles primaires à Lausanne.

Mais surtout, les rues et la place de Saint-Jean révèlent depuis le début du Moyen Age la présence et l’appui de l’Evangéliste invoqué sur les malades et sur ce quartier. Les progrès de la lutte contre la tuberculose grâce à la doctoresse Olivier ne sauraient éclipser l’aspect séculaire et chrétien de la présence du saint patron.

Bref, tant l’histoire de ces deux quartiers que les désagréments sur les personnes qui y vivent et y travaillent condamnent, dans ces deux cas, les modifications proposées.

Références:

Louis Polla, Rues de Lausanne (1981) et Places de Lausanne (1987), Ed. 24 heures; Marcel Grandjean, La Ville de Lausanne (Monuments d’art et d’histoire du Canton de Vaud, III).

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