La pire des pyramides
Vous cherchez à réorienter votre carrière professionnelle? Devenez bâtisseur de pyramides! Vous croyez que ça n’existe plus? Détrompez-vous! A notre époque, on ne fabrique plus de pyramides en pierre, comme autrefois dans l’Egypte antique, ni en verre, comme au Louvre, mais on élabore à intervalles réguliers des «pyramides alimentaires». Ce ne sont plus des esclaves qui sont réquisitionnés pour cela, ni des immigrés clandestins, mais des nutritionnistes grassement payés (ce sont les seules particules grasses que l’on tolère encore) et que l’on n’a, hélas, plus le droit de fouetter (de toute façon, la crème, c’est fini).
Ces brillants experts ont passé plus d’une décennie à accumuler des «masses de données scientifiques récentes» afin de mettre au point notre nouvelle pyramide alimentaire. De quoi celle-ci est-elle composée? Le suspense est à son comble! Imaginez-vous de solides empilées de sangliers, comme dans les bandes dessinées? Ou de fragiles édifices de chocolats, comme dans les publicités? A moins que vous ne songiez à la fameuse Pyramide à la Septime? Eh bien pas du tout: de manière totalement inattendue, les découvertes les plus récentes de la science nous invitent – avec bienveillance – à manger beaucoup moins de viande et beaucoup plus de fruits et de légumes «locaux, de saison et issus de production durable». On devine le budget qu’il a fallu pour aboutir à tant d’audace! En résumé, des andouilles en blouse blanche et birkenstocks nous prescrivent des «quantités minimales et maximales» de denrées alimentaires, en tenant compte un tout petit peu de notre santé, beaucoup de l’écologie et de la biodiversité, et pas du tout de notre plaisir. C’en est fini des steaks, forcément, mais aussi des bananes et même des jus de fruits. Hors des céréales et des végétaux de proximité, point de salut. Et les psychologues répareront les dégâts.
On s’éloigne donc considérablement des pyramides originelles (lesquelles étaient remplies de nourriture; on prétend même que le roi Toutankhamon avait un faible pour les sucreries…) pour se rapprocher de ce qu’on pourrait qualifier de pyramide des âges sombres. La solution ne serait-elle pas, malgré tout, de l’abandonner dans le désert avec les autres?
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Quelques acteurs de la démocratie directe – Editorial, Félicien Monnier
- L’histoire selon Bainville – Benjamin Ansermet
- Le soleil noir de Bernanos – Lars Klawonn
- De mystérieux tirs – Benjamin Ansermet
- Occident express 128 – David Laufer
- La signature – Olivier Delacrétaz
- Les lunettes de Bourdieu – Quentin Monnerat
- Coupes indispensables – Jean-François Cavin