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Initiative fédérale «Oui à la médecine de famille»

Georges Perrin
La Nation n° 1890 4 juin 2010
Une initiative, lancée par la Société suisse de médecine générale (regroupant plusieurs sociétés de médecine de premier recours), a été lancée en octobre 2009, et déjà déposée à la Chancellerie fédérale le 1er avril 2010, munie de plus de 200’000 signatures (100’000 sont nécessaires). Ce succès manifeste un besoin, largement ressenti par la population, de changements dans l’organisation de notre système de santé. Le texte est ainsi conçu:

La Constitution fédérale est modifiée comme suit:

Art. 118b (nouveau) Médecine de famille

  1. Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons veillent à ce que la population dispose d'une offre de soins médicaux suffisante, accessible à tous, complète et de haute qualité fournie par des médecins de famille.
  2. Ils encouragent la médecine de famille et veillent à ce qu'elle reste une composante essentielle des prestations de soins de base et constitue, en règle générale, la médecine de premier recours pour le traitement des maladies et des accidents et pour les questions d'éducation sanitaire et de prophylaxie.
  3. Ils oeuvrent à l'établissement d'une répartition équilibrée des médecins de famille entre les régions, créent des conditions propices à l'exercice de la médecine de famille et encouragent la collaboration avec les autres prestataires et institutions du domaine de la santé et du domaine social.
  4. La Confédération légifère sur:
    a. la formation universitaire, la formation postgrade et la recherche clinique en médecine de famille;
    b. les moyens de garantir l'accès à la profession de médecin de famille et de faciliter l'exercice de cette profession;
    c. l'extension et la rémunération appropriée des prestations de nature diagnostique, thérapeutique et préventive fournies par les médecins de famille;
    d. la reconnaissance et la valorisation du rôle particulier qu'assume le médecin de famille auprès des patients en termes de conseil et de coordination;
    e. la simplification des tâches administratives et les formes d'exercice de la profession adaptées aux conditions modernes.
  5. Dans sa politique en matière de santé, la Confédération tient compte des efforts déployés par les cantons, les communes et les milieux économiques dans le domaine de la médecine de famille. Elle soutient leurs démarches en vue d'assurer l'utilisation économique des moyens et de garantir la qualité des prestations.

* * *

Le texte est accompagné d’un argumentaire qui fait apparaître les désirs des initiants et les critiques à l’égard de la situation actuelle. Une des préoccupations majeures est la diminution du nombre des généralistes, ou des médecins de premier recours, avec les difficultés que cela entraîne, et que cela va aggraver encore pour ceux qui la pratiquent: surcharge de travail, service de garde de plus en plus lourd, abandon de certaines régions périphériques, déjà mal desservies. Surprise? Ou conséquence d’une mesure étatique prise dans le cadre de la LAMal? On peut citer ici l’opinion de Beat Kappeler, dans Le Temps du 3.10.2009: «Il y a quelques années, ils [les politiciens] ont prohibé l’ouverture de nouveaux cabinets. et maintenant, les médecins manquent. quel miracle, quelle surprise!»

La médecine générale est moins attractive que celle des spécialités; dès les stages de formation après les études proprement dites, il est plus difficile de trouver successivement plusieurs places de durée relativement courte, dans les différents services hospitaliers, pour une formation générale, que des places d’une durée supérieure en vue d’une spécialisation précise. Il y a là un handicap important auquel la Faculté de Lausanne cherche à porter remède depuis des années. Les statistiques montrent une proportion de généralistes par rapport aux spécialistes de 4 pour 6; alors qu’on estime, nous disent les initiants, que la proportion devrait être inverse, de 6 généralistes pour 4 spécialistes, sinon 7 pour 3, pour une répartition équilibrée répondant aux besoins de la population.

Le gain du généraliste, trop inférieur à celui du spécialiste, est aussi mis en cause dans le manque de renouvellement de la profession. A cet égard, il faut reconnaître que quelques mesures récentes de l’autorité fédérale sont incontestablement contraires à ce qui est souhaitable: diminution des prestations de laboratoire, indemnisation insuffisante des frais de radiologie, d’électrocardiographie et de diverses installations techniques.

L’initiative demande une répartition «équitable» des gains, par le moyen de tarifs de l’assurance, entre les différents groupes de spécialistes. Immense sujet que de s’attaquer au Tarmed, perpétuellement en mutation, donc toujours insatisfaisant pour une partie ou pour une autre, et qui élèvera forcément des contestations. qu’on imagine qu’un seul tarif s’applique à tous les médecins de Suisse, dans toutes les variétés de situations géographiques, de spécialités, de pratiques individuelles ou groupées, de préférences diverses, idéologiques ou scientifiques, pour l’exercice de l’art; qu’avec cette bigarrure professionnelle, il faut réaliser un «équilibre» (quel genre d’équilibre?) de façon à contenter chacun… La solution est inimaginable, et on voit qu’elle est constamment recherchée, mais non trouvée. Récemment, le Conseil fédéral avait à examiner quarante mesures urgentes dans le cadre de la LAMal; sur celles-ci, six seulement ont été retenues, dont on espère des économies de 300 à 350 millions!

Les négociations sur la révision de la structure tarifaire Tarmed sont actuellement bloquées; les améliorations pour certaines catégories (médecins de premier recours) ne peuvent être apportées que dans le respect de la neutralité des coûts, «sans que d’autres spécialistes en profitent également».

La réforme de la médecine ambulatoire est en chantier; l’espoir est de la mettre en vigueur au 1er janvier 2012; les innovations seront importantes: réseaux de soins intégrés avec co-responsabilité budgétaire – médecins, patients et assurance (?) – et contrat managed-care; pseudo-managed- care (triage téléphonique, listes des médecins, etc) et cabinet médical ancienne manière, celui-ci avec primes un peu plus élevées et double participation aux frais. (Tout ce vocabulaire est livré sans traduction, dans les termes du bulletin de la Fédération des médecins, montrant qu’on ne sait pas exactement à quoi nous devons nous attendre.)

Une nouvelle façon d’estimer les frais hospitaliers (les DRG), basée sur «des forfaits par cas liés aux prestations», plus rationnelle et moins coûteuse pour l’assurance, nous dit-on, sera introduite au début de 2012. Là encore, il y aura nécessité d’harmoniser des tarifs et d’apaiser des oppositions qui s’annoncent violentes contre une intrusion supplémentaire de l’économie dans les relations humaines. Ce sont les médecins et tout le personnel hospitalier qui sont intéressés au premier chef.

* * *

Malgré tout, il est souhaitable que tous les obstacles que nous avons énumérés puissent être surmontés. On peut raisonnablement penser en effet qu’une médecine organisée de façon à procéder du plus simple au plus compliqué, en demandant au médecin de famille qui, par principe, a vue sur l’environnement de ses malades, connaît les circonstances et les risques de chacun, qui peut avoir la mémoire de tout ce qui s’est passé d’important, qui connaît les possibilités de traitement (hôpital, interventions spécialisées, etc.), au-delà de l’ordinaire et du courant, en demandant donc à ce médecin de gérer l’ensemble d’un dossier de patient; cela lui donnerait la possibilité d’éviter les doublons d’examens, les mauvais engagements thérapeutiques, et de rétablir la relation personnelle qui manque trop souvent à la technicité actuelle. Il y aurait là une économie non seulement d’argent, mais de démarches et d’efforts inutiles.

Ce qui nous surprend en revanche, et nous choque même dans le lancement de cette initiative, c’est qu’il n’est pas tenu compte de tout ce qui a déjà été entrepris et réalisé pour remédier aux défauts du système. Voilà des années que la policlinique universitaire de Lausanne a entrepris la formation de médecins généralistes; elle invite des praticiens du Canton à donner régulièrement des cours aux étudiants intéressés; avec le soutien de l’Institut universitaire de médecine générale et du Service de la Santé, elle organise une formation dans des hôpitaux périphériques; une formation peut aussi être réalisée directement chez des généralistes installés en privé. De telles réalisations sont concrètes, solides; on voit à quoi elles aboutissent. en comparaison, des textes comme ceux de l’initiative paraissent bien inconsistants; remis aux mêmes instances que celles qui nous dirigent actuellement, aux mêmes conseillers nationaux dont on dénonce la collusion avec les milieux de l’assurance, que peut-on en espérer?

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