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A propos des réseaux de soins intégrés

Jean-François Cavin
La Nation n° 1890 4 juin 2010
La mode est aux réseaux. Le terme évoque la communication qui est, comme chacun sait, la clé de notre époque; il exprime l’idée d’une oeuvre collective, mais sans contrainte; il suggère une collaboration spontanée entre les membres, dans un esprit de rationalité toute naturelle et de liberté attentive à autrui (on ne dit jamais qui commande); en un mot, c’est l’expression d’une belle convivialité.

Le monde de la santé n’échappe pas à cette mode. Une révision de la loi fédérale sur l’assurance maladie, soumise au Conseil national pour la session de juin par sa Commission de la santé et des affaires sociales, tend à promouvoir les réseaux de soins intégrés. La Commission semble presque unanime, les partis approuvent plus ou moins, la FMH et les assureurs y souscrivent. Les voix discordantes sont rares: quelques médecins – citons la forte critique du Dr Jean-Pierre Grillet, de Genève, dans la Revue Médicale Suisse du 5 mai – cependant que les organisations de patients et d’hôpitaux ne formulent des réserves que sur des points particuliers.

De quoi s’agit-il?

Ce projet paraît encore flou, car bien des questions restent ouvertes, à commencer par la définition du réseau de soins. Cette notion peut en effet recouvrir des réalités fort variées. De manière générale, on peut dire qu’il s’agit d’un groupement de soignants visant à coordonner leurs soins afin de suivre le patient du début à la fin du traitement en veillant au meilleur rapport qualité-coût. Le réseau peut être créé par des soignants ou instauré sous l’égide d’une caisse-maladie. Il assume une certaine responsabilité quant aux coûts des traitements, mais on ne comprend pas toujours par quels moyens.

Cela dit, certains réseaux paraissent tissés de fils quasi arachnéens, cependant que d’autres sont tressés de tiges d’acier. Parmi les premiers, ceux qui n’exigent que le recours prioritaire au médecin de famille, qui adressera le patient à un spécialiste seulement en cas de besoin. A l’autre extrémité, les HMO purs et durs (Health Maintenance Organisations), dont les médecins sont salariés et payés forfaitairement par tête de client.

Le projet fédéral semble s’en tenir à une définition générale et laisser une grande liberté d’organisation aux médecins et aux caisses. L’accent est mis sur les incitations: rabais de primes «jusqu’à 20%» pour les assurés rejoignant un réseau, basse franchise fixée à 300 francs alors qu’elle serait portée à 500 francs pour les rénitents, participation aux coûts de 10% pour les réseautés et de 20% pour les autres avec un plafond doublé pour les seconds.

Les caisses seraient tenues d’inclure dans leur offre une formule de réseau. Elles pourraient prévoir que les patients entrant dans un réseau sont tenus d’y rester trois ans, sauf motifs spéciaux.

Questions et doutes

A défaut de texte définitif, on ne peut pas se livrer à une analyse complète, mais seulement livrer quelques réflexions.

La première concerne le recours prioritaire obligé, sauf quelques exceptions, au médecin de famille, un généraliste ou un interniste en principe. C’est une démarche normale dans la plupart des cas; mais l’obligation aura sûrement quelques effets curieux.

Qu’en est-il de la liberté de choix du médecin dans cette formule qui s’imposera peut-être vu les pénalités financières prévues en cas de refus? En théorie, cette liberté disparaît, puisqu’il faut recourir aux praticiens agréés par le réseau. En pratique, on ne sait trop qu’en penser. Un réseau déjà institué par une grande caisse romande tient une liste de trois cents médecins de premier recours pour le seul Canton de Vaud. Un réseau genevois propose cent-septante adresses. Il est possible que la banalisation des réseaux pousse la quasi-totalité des praticiens à s’inscrire. C’est ce que semble prévoir le Dr de Haller, président de la FMH, qui a déclaré à 24 heures que les assurés garderont leur médecin qui sera inscrit dans le réseau. Mais les médecins pourront-ils s’inscrire à plusieurs réseaux, créés dans la mouvance de plusieurs caisses, pour rester à disposition de tous leurs patients? La question ne semble pas réglée. Si c’est non, c’en sera fait de la liberté de choix du médecin – ou de l’assureur. Si c’est oui, l’idée d’un réseau tenu par de forts liens de collégialité et de solidarité aura du plomb dans l’aile.

Qu’en est-il de la liberté professionnelle du médecin? Le sujet est presque ignoré des politiciens et des commentateurs. Il faut bien voir que les réseaux, dans les faits, seront placés sous la direction des caisses. Si le réseau en reste à son expression la plus légère, il ne devrait guère y avoir d’intrusions plus marquées qu’aujourd’hui dans les décisions médicales. Dans le cas d’une HMO, en revanche, les contraintes budgétaires peuvent s’avérer décisives. Quant à la tendance générale, le Dr Grillet évoque non sans raison la concurrence qui naîtra obligatoirement entre les réseaux et qui ne se fera pas sur des critères de qualité mais bien sur des critères économiques.

Que penser enfin des allègements de primes «jusqu’à 20%» qu’on nous fait miroiter? La formule utilisée par les promoteurs de cette réforme fait penser à ces offres d’agences de voyage qui vous proposent un séjour en Tunisie «dès 599 francs»; mais c’est seulement entre le 10 et le 17 novembre, pour une chambre donnant sur la route. On peut craindre qu’il en aille de même avec l’assurance maladie; sinon, un tel rabais tiendrait du miracle. Les réseaux existants ne fournissent guère d’indications pertinentes, car les personnes âgées ou malades n’y ont pas adhéré; on peut donc traiter à peu de frais une population jeune et saine. pour la population dans son ensemble, on rappelle que les coûts de l’hospitalisation, qui n’ont pas grand-chose à voir avec les réseaux, représentent presque la moitié des coûts totaux de la santé. Si l’on y ajoute d’autres dépenses échappant aux prétendus bienfaits des réseaux (urgences, maternité, etc.), on voit que les économies devraient être trouvées sur la moitié au plus des dépenses totales, qui devraient donc être réduites «jusqu’» à raison de 40%! Avouons une certaine incrédulité…

Pour ne pas conclure

Le sujet est complexe, les travaux parlementaires vont encore durer et peut-être nous valoir des compléments d’information. Il est donc trop tôt pour conclure. Disons qu’à ce stade il y a une forte présomption que la promotion légale des réseaux de soins intégrés ne soit qu’une manipulation de l’officialité destinée à faire croire qu’elle innove tout en masquant son impuissance. Une poignée de poudre aux yeux qui n’aura guère d’effets sur le coût de la santé, mais compliquera la vie des assurés et des soignants tout en limitant leur liberté.

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