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Juvenilia XCIX

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 1890 4 juin 2010
Un jeune collègue me confiait récemment son embarras devant l’indifférence de certains élèves à l’égard des chefs-d’oeuvre de la littérature. Comment en serait-il autrement? Ils n’ont pas demandé à être là et il est au fond assez naturel que, sur une vingtaine d’individus, seule une minorité s’intéresse à Montaigne ou à Baudelaire.

L’expérience d’une classe rétive face à un texte dont on aimerait faire partager les beautés rend toujours un peu mélancolique. Pas trop épais, ce roman avait été accueilli par les lazzi égrillards de quelques garçons: «La Chatte de Colette? Au moins le titre est prometteur!» Hélas, la minceur de l’intrigue les ennuya rapidement: Camille, jeune épouse d’Alain, devient jalouse de la chatte de son mari et tente de la tuer. C’est tout. La tension montante de cette tragédie de l’amour ne put capter leur intérêt. Ils observaient un mutisme poli quand je m’extasiais à la lecture de telles descriptions: «Un des appareils d’arrosage, debout sur son pied unique, rouait sur le gazon, ouvrant sa queue de paon blanc barrée d’un instable arc-en-ciel.» Ou: «Saha descendit collée au mur comme une goutte de pluie le long d’une vitre.» Qui aime les descriptions à quatorze ans?

Pour effacer cet échec, je misai ensuite sur une valeur sûre, Le Bourgeois Gentilhomme, qui obtint un succès au-delà de mes attentes: les jeunes lecteurs riaient et s’appropriaient le texte au point de jouer avec les répliques. Pour gagner un point à un travail écrit, Darius et Baptiste essayèrent la stratégie des garçons tailleurs qui flattent M. Jourdain pour obtenir un pourboire: «Monseigneur, nous vous serions bien obligés si vous nous donniez ce point… Votre Grandeur…» «Ma foi, s’ils vont jusqu’à l’Altesse, je serai bien obligé de céder.» Quel paradoxe, tout de même que les perruques du Grand Siècle soient plus actuelles que l’histoire d’un jeune couple moderne – appartement avec ascenseur, tête-à-tête au restaurant, cabriolet piloté par madame, etc.

Quelques jours plus tard, il arriva une semblable occurrence dans une autre classe (treize ans): à l’écoute de l’Air des Bijoux du Faust de Gounod, tous éclatèrent de rire, comme on rit de la Castafiore, et se montrèrent fort étonnés que j’aie pu dépenser de l’argent pour acquérir un tel CD: «Vous écoutez ça chez vous? Ah?» Le lendemain, Ariane et Evelyne présentaient un brillant exposé sur un sujet de leur choix: l’Orfeo de Monteverdi. Pour illustrer leur propos, elles analysèrent en détail et firent écouter la lamentation d’Orphée à la mort d’Eurydice. Assis au fond de la classe, j’observais leurs camarades, bouche bée, vivre en direct la douleur de cet homme qui venait de perdre un être cher.

Finalement, n’est-ce pas réconfortant que ces jeunes gens élisent Molière et Monteverdi comme contemporains?

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