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Prix Rambert: L’implacable brutalité du réveil

Olivier KlungeLa page littéraire
La Nation n° 1894 30 juillet 2010
A la mort d’Eugène Rambert, en 1886, ses frères de couleurs zofingiens commencent la récolte de fonds, en particulier les bénéfices de leurs soirées théâtrales, en vue de l’érection d’un monument à la mémoire du grand homme. Cependant, les Zofingiens estimèrent qu’il était plus fidèle à l’esprit et au travail d’Eugène Rambert de consacrer ces moyens à un prix littéraire, permettant de promouvoir les lettres romandes par une reconnaissance publique des oeuvres marquantes et par un soutien financier à des auteurs méritants.

C’est ainsi que naquit le Prix Eugène-Rambert, remis tous les trois ans à un auteur suisse d’expression française. Le premier lauréat, en 1903, fut Henri Warnery pour Le Peuple vaudois. Le suivirent Charles-Ferdinand Ramuz, pour Aimé Pache (1912) puis Le Passage du poète (1923), Edmond Gillard pour Rousseau et Vinet individus sociaux (1926), Paul Budry pour Guerres de Bourgogne et Trois hommes dans une Talbot (1929), Jacques Mercanton pour Thomas l’incrédule (1944) ou encore Jacques-Etienne Bovard pour Demi-sang suisse (1995).

Cette année, le choix du jury, composé de huit personnes dont le point commun est d’être membres des actifs ou des Vieux-Zofingiens vaudois, s’est porté sur le roman de Pascale Kramer L’implacable brutalité du réveil1. La prose de cette Genevoise, résidente parisienne depuis plus de vingt ans, a été préférée à cent-onze autres ouvrages, parmi lesquels des romans, mais aussi quelques recueils de poésie, essais ou nouvelles.

L’écriture ciselée de Pascale Kramer a tapé dans l’oeil du jury, mais pas seulement: par l’acuité de ses descriptions et le développement d’une poétique du réel qui lui est propre, l’écrivain peint à travers l’histoire d’Alissa, déstabilisée par l’arrivée de son premier enfant, le portrait d’êtres en lutte avec eux-mêmes et avec leur entourage, dont le vernis s’écaille. Les membres du jury ont aussi été sensibles à ces personnages fragilisés, et par le regard de l’auteur sur une société américaine dont le rêve s’effrite.

Un jury masculin, qui plus est zofingien, qui consacre un texte dans lequel le personnage principal est une jeune maman déprimée par sa nouvelle maternité? S’il ne s’agissait que du récit d’un baby blues, on aurait de quoi s’étonner, mais l’auteur dépasse et sublime complètement l’argument du récit pour nous élever vers des réflexions fondamentales sur notre société. De plus, outre le mal-être d’Alissa, le lecteur découvre le mari de cette jeune maman, plus préoccupé par son ami revenu de la guerre du Golfe que par son propre enfant, ou encore la mère d’Alissa, obnubilée par son divorce et son nouveau petit ami.

Un petit ouvrage qui plaira, au-delà d’une narration bien construite, par la finesse descriptive des caractères des personnages, effigie de la société du droit au bonheur, et par la force évocatrice de l’auteur qui sait en quelques mots nous faire ressentir l’atmosphère d’un brûlant été californien autour de la piscine d’une barre d’immeuble anonyme.


NOTES:

1 Mercure de France, 2009, 141 pages.

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