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Actualités  |  Mardi 23 avril 2024

La CEDH, les ONG et la légitimité politique

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Suisse pour «inaction climatique» parce qu’elle ne tient pas de budget carbone. Elle est loin de donner suite aux revendications très détaillées, mêlant actes d’administration et politique générale, que les Aînées pour le climat avaient formulées, dès 2016, devant le Département fédéral de l’environnement et de l’énergie.

L’arrêt serait «historique». C’est possible, mais peut-être pas pour les motifs que l’on pense.

À long terme, la forme est aussi, sinon plus, importante que le fond. En régime démocratique, à l’ère des réseaux sociaux, le fond est plus que jamais volatil. Les institutions, de leur côté, fixent les limites de l’action. Elles décident qui fait quoi, et, surtout, qui décide de quoi. La souveraineté est à leur base. Les fragiliser est dangereux pour notre capacité à cohabiter. Il faut lire sous cet angle le récent arrêt de la CEDH.

Son raisonnement est en gros le suivant: la Suisse a signé certains engagements internationaux, dont l’accord de Paris. Ces engagements imposent à la Suisse des objectifs de réduction de CO2. Or le réchauffement climatique fait peser un danger sur la santé et la vie des personnes âgées. Ce danger, s’il réalise peut-être une atteinte à leur «droit à la vie» (art. 2 CEDH), porterait surtout atteinte à leur «droit au respect de la vie privée et familiale» (art. 8 CEDH) dès lors qu’il perturbe leur quotidien. Un État ayant signé ces accords pourrait donc être condamné pour violation des droits de l’homme s’il ne prend pas – au niveau politique – suffisamment de mesures pour lutter contre le réchauffement climatique.

La CEDH nous avait habitués à nous condamner pour la taille de nos cellules de prison, pas pour notre absence de budget carbone. C’est ce saut de niveau politique qui est en réalité historique.

Les accords climatiques ne prévoient pas ce mécanisme de contrôle. Dans cette affaire, l’individualisme fondamental des droits de l’homme a permis une mesure profondément attentatoire à la souveraineté suisse. Cette dernière consiste pourtant en le fait de choisir les buts autant que les moyens de sa politique.

Pour la Cour, une association de personnes âgées peut se plaindre de ces atteintes à leur santé, mais pas les personnes âgées elles-mêmes, qui seraient trop indirectement touchées. Cela est paradoxal, à moins de vouloir encourager le rôle de la soi-disant «société civile». Cette dernière est composée d’organisations non gouvernementales se donnant pour mission, notamment, de dénoncer les violations des droits de l’homme, si nécessaire devant la justice, y compris strasbourgeoise. La CEDH reconnaît poursuivre un tel but.

La Cour a donc augmenté sa marge de pouvoir, ce fut l’avis des États consultés durant la procédure, et consacré le pouvoir d’organisations pourtant dénuées de toute légitimité politique nationale. La fuite en avant continue.

(Félicien Monnier, 24 heures, 23 avril 2024)