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Achevons le Cassis-de-Dijon pour de bon!

Félicien Monnier
La Nation n° 2002 3 octobre 2014

Le principe «du Cassis-de-Dijon» veut que la Suisse ne puisse imposer sa propre législation à des produits provenant de l’Union européenne. Les normes européennes de production sont dès lors également valables pour la Suisse. La Confédération s’est unilatéralement imposé ce principe au 1er juillet 2010, par une modification de la loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC). Presque toute la gamme de ce qui peut s’acheter en Suisse est concernée: de la machine-outil à la brique de lait.

Mme Doris Leuthard avait bataillé dur pour défendre son projet. Le Conseil fédéral prétendait alors s’attaquer à l’«îlot de cherté» que serait la Suisse. Les référendums parallèles lancés par la Ligue vaudoise et un comité genevois n’avaient malheureusement pas abouti.

Le consommateur aurait dû voir son portemonnaie se vider moins vite. Il n’en fut rien. Par contre, les Suisses gagnèrent des aigreurs d’estomac. La presse parla des jambons gorgés d’eau, des sirops sans fruits et autres horreurs gastronomiques que la législation alimentaire suisse interdit à nos producteurs, mais que l’UE tolère. Ces produits se retrouvèrent dans nos supermarchés.

La réaction vint trop tard. M. Jacques Bourgeois, président de l’Union suisse des paysans (USP) se présenta en chef de file de l’opposition au Cassis et déposa plusieurs initiatives parlementaires. De même, la Fédération romande des consommateurs (FRC) de M. Mathieu Fleury s’insurgea dès 2012. Leur soutien eût suffit à faire aboutir le référendum de 2009. Mais ils n’avaient rien vu ni prévu.

Aujourd’hui, les Chambres s’apprêtent à sortir les denrées alimentaires du Cassis-de-Dijon. Tous les autres biens, à quelques rares exceptions près1, peuvent toujours être importés sans égard aux normes suisses ou vaudoises. C’est ici que la schizophrénie fédérale se révèle.

A quoi les normes de production helvétiques servent-elles donc? La LETC permet aux producteurs locaux d’appliquer les normes européennes afin de ne pas être pénalisés. Il s’agit d’une perte de souveraineté. Comme avec FATCA, la Suisse donne blanc seing à l’évolution future de normes sur lesquelles elle n’a aucun pouvoir. C’est le principe même du Cassis-de-Dijon qui est faux.

Si les règles suisses sont vraiment trop contraignantes, supprimons-les. Rien ne sert de les conserver en concurrence avec des règles étrangères, tout en espérant sauver la qualité suisse avec quelque label «Swissness», marqué d’une arbalète, d’un petit Cervin ou de tout autre logo helvétisant.

Relevons enfin l’étrange soutien – au moins passif – de la gauche au Cassis- de-Dijon. A l’heure où beaucoup se préoccupent de normes écologiques de production, de conditions sociales des employés, de souveraineté alimentaire et de décroissance, cette soumission aux principes du marché peut surprendre. Nous l’expliquons par la crainte idiote que le protectionnisme soit une résurgence du nationalisme. Pour celui qui hait les frontières autant que l’agro-industrie mondiale, la contradiction est inextricable.

La Suisse n’a rien à gagner de cette confusion normative. Ne débarrassons pas seulement nos étals du jambon à l’eau, mais la Confédération du Cassis- de-Dijon.

Notes:

1 La loi fédérale sur les entraves techniques au commerce permet l’exclusion théorique au principe de certains biens (art. 4, al. 3-4 LETC). Notamment ceux portant atteinte au patrimoine culturel national, à la santé publique ou encore à l’environnement. Cette exclusion se fait au cas par cas.

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