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A propos du féminisme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2006 28 novembre 2014

Mme Judith Butler, féministe de toujours et docteur honoris causa de l’Université de Fribourg depuis peu, conteste la réalité des différences entre les sexes qui fondent les rôles traditionnels de l’homme et de la femme: ces différences ne sont que des «constructions sociales» destinées à assurer le pouvoir du mâle sur la femme.

Les représentants les plus avancés de ce féminisme jugent que le sexe biologique lui-même – et pas seulement le genre social – relève d’une telle construction. Il convient donc de démanteler les «stéréotypes» manifestant ces prétendues différences dans les habits, les jouets, les métiers ainsi que dans les rôles familiaux attribués (par le mâle!) à l’un et l’autre sexe.

C’est un féminisme de combat. Il interprète toute chose sous l’angle de la lutte des sexes et de la cause des femmes. Rien n’échappe à sa vigilance soupçonneuse. Chaque discours mâle, même de conciliation, même de soutien inconditionnel, est lourd d’une tromperie possible. La galanterie n’est qu’une mascarade humiliante. Beaucoup s’étonnent. Le féminisme n’a-t-il pas triomphé pour l’essentiel? N’a-t-il pas donné aux femmes l’égalité des droits civiques et civils? La femme n’est-elle pas désormais une égale dans les discours de l’homme ordinaire? C’est plus ou moins vrai, mais qu’en est-il des pensées de cet homme, et surtout de ses arrière-pensées? L’égalité, maîtresse jalouse et perspicace, perçoit la persistance diffuse, sournoise ou inconsciente, du sentiment mâle de supériorité.

Intransigeante, elle ne se satisfait pas de l’à-peu-près, elle veut tout. Et plus elle gagne du terrain, moins elle supporte les inégalités résiduelles. L’impossibilité de les réduire engendre un sentiment d’injustice et de fureur qui pousse certaines femmes à radicaliser leurs positions, leurs exigences et leurs attitudes.

Faute d’obtenir satisfaction par la réforme, elles espèrent l’obtenir par une révolution aussi bien philosophique – mise en question de l’image traditionnelle de la nature humaine dans les universités (doctorat honoris causa à l’appui) – que militante – pression permanente sur les médias, sur les parlements et dans les rues.

Ce féminisme destructeur désincarne l’être humain, l’extrait brutalement de son corps d’homme ou de femme. Il affaiblit la société en bafouant ses mœurs et en raillant ses symboles. Il ridiculise la langue française en l’affublant de majuscules au milieu des mots, en parsemant les textes de barres obliques et de traits d’union à répétition qui font hoqueter les phrases et cassent le rythme de l’écriture. Qui peut y voir une promesse de jours meilleurs?

Aux antipodes, apparemment, de ce féminisme «similitudiniste», il existe un féminisme «différentialiste» qui se fonde sur une affirmation triomphante des différences entre l’homme et la femme. Il insiste sur la spécificité de la femme, sur ses qualités propres, sur ce qu’elle est et que l’homme ne sera jamais. Il plaide pour ses apports originaux et irremplaçables à la politique, aux arts, à l’économie. Dans cette perspective, l’homme et la femme sont si différents qu’ils en deviennent impossibles à classer en termes d’infériorité ou de supériorité. Ils sont égaux parce qu’ils sont incomparables, ce qui n’est pas sans contradiction, l’égalité étant le résultat d’une comparaison. Disons qu’ils sont égaux en tant qu’humains incomparables.

Ce féminisme n’est pas dirigé contre l’homme. Il vise plutôt à valoriser la femme, à faire reconnaître pleinement ses capacités, à exiger qu’on lui donne la possibilité de les mettre en œuvre, pour le bénéfice de tous.

Il apparaît, surtout comparé à celui de Mme Butler, comme la voix de la raison et de la modération. Beaucoup de femmes d’aujourd’hui, même conservatrices, jugent qu’il a imposé à la société une vision plus juste de ce qu’elles sont. Il reste que ce féminisme modéré souffre de la même tare fondamentale que le féminisme révolutionnaire, qui est d’aborder les relations entre l’homme et la femme dans une perspective exclusivement individualiste.

Cela ne pose guère de problèmes dans les relations de personne à personne. Cela commence quand ces féministes modérés doivent s’intégrer dans la communauté familiale, structurée hiérarchiquement comme toutes les communautés.

Si on tient à conserver l’approche individuelle à l’intérieur de la famille, la répartition hiérarchique des rôles en fonction du sexe est logiquement inacceptable. C’est d’ailleurs le féminisme modéré qui a fait disparaître la notion de chef de famille du droit suisse.

Malgré cela, la plupart des couples continuent de se conformer à la structure traditionnelle, d’abord parce qu’elle est pratique, ensuite parce qu’elle est un canevas sur lequel on peut tout de même broder assez librement.

Mais l’incompatibilité entre l’idée individualiste et le fait hiérarchique subsiste, comme une faille dans l’unité du couple, engendrant une moindre résistance face aux coups du destin et, parfois, pour la femme, le sentiment gênant d’avoir été piégée.

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