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Occident express 12

David Laufer
La Nation n° 2104 31 août 2018

De retour de vacances à Belgrade, mon ami Dragan était bougon. Nous dégustions un plat de tripes farcies dans de la tête de veau, un met typiquement serbe qui peut se révéler infect s’il est mal préparé. Dragan ne desserrait pas la mâchoire et vidait son verre de vin machinalement. Depuis la finale France-Croatie, m’expliquait-il, c’est la guerre à la maison. Il était avec sa famille sur la côte dalmate, dans le petit appartement acheté par son père en 1982. Le jour de la finale, sa femme, aussi serbe que lui, déclare souhaiter la victoire de la Croatie. Comme Dragan fait mine de ne pas approuver, elle s’emporte: «Mais pourquoi tu ne soutiens pas la Croatie? On vient ici en vacances, allez quoi! La guerre, c’est de l’histoire ancienne!» Et lui: «Ouais… ils méritent peut-être de gagner. Mais les Croates nous détestent, c’est comme ça. Ne me demande pas de souhaiter leur victoire.» Sur ces mots sa femme se met dans une colère noire et l’abreuve de qualificatifs divers. «On ne peut plus rien dire, même à sa propre femme, sans se faire traiter de facho. Je ne dis pas que je hais les Croates. Je veux juste ne pas soutenir l’équipe d’un peuple qui, dans sa grande majorité, nous déteste et nous a fait la guerre deux fois en 45 ans pour nous le faire comprendre.» Quand j’étais petit, à Lausanne, on disait que les Fribourgeois puaient et que les Genevois avaient une grande gueule. C’était notre petit racisme régional sans conséquences. Lorsque la guerre a éclaté en Yougoslavie en 1991, on regardait cela avec consternation, et aussi avec mépris. Quels sauvages! Et puis un jour, lors du match Suisse-Serbie de juin dernier, deux joueurs suisses d’origine balkanique ont importé sur le terrain un peu de leur racisme régional. En quelques heures, la Suisse entière s’est enflammée. Deux mois plus tard l’incendie n’a pas encore été maîtrisé, avec l’expulsion de Valon Behrami teintée de soupçons politiques. Il n’aura suffi que de quelques miettes de complexité balkanique pour que notre tranquille Helvétie découvre à quel point il est difficile de rester de marbre devant des questions sur lesquelles personne, même au sein d’un couple, n’est prêt à faire des concessions.

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