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Des ponts à l’Est

Pierre-Gabriel Bieri
La Nation n° 2149 22 mai 2020

Le site internet Regards sur l’Est (www.regard-est.com) a publié à la mi-avril un dossier intitulé «Des ponts à l’Est: liens, blessures et symboles». On y trouve une vingtaine d’articles consacrés à des ponts connus ou méconnus, anciens ou modernes, modestes ou gigantesques, tous situés dans la vaste zone s’étendant entre l’Est de l’Europe et l’Extrême-Orient russe.

Le pont sur le détroit de Kertch, qui rattache depuis 2018 la Crimée à la région russe de Krasnodar, a beaucoup fait parler de lui dans les médias. Mais au fil des contributions, on découvre d’autres ouvrages qui relient des régions meurtries par les conflits. Près de Lougansk, un pont à moitié détruit sert de passage entre le territoire contrôlé par le gouvernement ukrainien et celui gagné par les séparatistes; chaque jour, des habitants le franchissent en escaladant ses ruines. A Mitrovica, ville retranchée des Serbes du Kosovo, l’Occident tente de faire oublier sa guerre en modernisant et en illuminant le vieux pont qui sépare des communautés difficilement réconciliables. Sur le Dniestr, entre la Moldavie et la Transnistrie, les ponts marquent une frontière non reconnue et rapprochent en même temps les populations roumanophones et russophones qui se sont durement affrontées au début des années nonante.

Dans un registre moins tragique, on découvre que deux ponts seulement franchissent le Danube sur les quelque 470 kilomètres où celui-ci sert de frontière à la Roumanie et à la Bulgarie; l’un, d’inspiration stalinienne, date de 1954; l’autre a été construit par l’Union européenne en 2013. Autre décor, trois mille cinq cents kilomètres plus au nord, dans le Finnmark norvégien: le nouveau pont de Bøkfjord, inauguré en 2017, accélère désormais le trafic entre Kirkenes et la ville russe de Mourmansk, renforçant les liens économiques entre ces régions arctiques, loin des dissensions politiques entre Moscou et l’Occident.

Au hasard des articles réunis dans ce dossier, on se retrouve à l’autre extrémité de l’Eurasie, par exemple sur la «magistrale» Baïkal-Amour; celle-ci double par le nord l’itinéraire principal du Transsibérien, en multipliant les ouvrages d’art (il faut lire l’histoire du tunnel de Severomouïsk sur Wikipédia, de préférence dans la version en allemand qui est plus complète). Plus à l’est encore, c’est autour de l’île de Sakhaline qu’émergent les projets les plus pharaoniques: un premier pont d’environ 10 kilomètres pourrait relier l’île à la Russie continentale, tandis qu’un second tronçon de 40 kilomètres, envisagé à plus long terme, rejoindrait l’île japonaise de Hokkaidô.

A lire absolument si vous aimez rêver devant des cartes de géographie.

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